• Voici, enfin, le billet promis sur la fin de la courte histoire d’Antoine, premier enfant du couple Antoine Levesque et Marie Anne Prouin. Il s’agit d’ailleurs du début de l’histoire en question puisque, par jeu, j’avais décidé de la conter en remontant le temps.

    Comme vous l’avez maintenant tous compris, l’acte que vous deviez découvrir est celui du mariage des parents du nouveau né, la veille de sa naissance.

     

    Comme vous pouvez le constater, rien ne transparaît dans cet acte de la situation particulière de la jeune mariée. Avait-elle choisi une tenue particulièrement ample pour masquer son ventre rebondi ? Personne n’était sans doute dupe, ni les parents, présents au mariage, ni le curé ou les amis. Les apparences sont sauves mais il s’en est fallut d’un jour que l’ordre des événements soit inversés et que cette naissance ait lieu hors mariage. Notons au passage que les bans de ce mariage ont été publiés régulièrement par trois dimanches consécutifs. Les dispenses d’un ou de plusieurs des bans n’étaient pourtant pas rares. L’imminence de la naissance d’un enfant « conçu dans le péché » n’était sans doute pas considérée comme une cause légitime de dispense.

    Attardons nous maintenant sur la question subsidiaire posée aux pugnaces lecteurs de cette prose : « pourquoi les actes de cette période  ne sont ils pas accessibles sur le site des archives départementales du Val d’Oise » ?

    Il fa falloir faire un peu d’histoire pour apporter une réponse quelque peu pertinente à cette question.

    Remontons donc le temps de près de cinq siècles, en 1539 exactement. François premier qui règne alors a demandé à Guillaume Poyet, avocat et membre de son conseil privé de rédiger une ordonnance sur le « fait de justice ». Connue sous le nom d’ordonnance de Villers-Cotterêts, daté du 25 août 1539, elle est un des plus anciens textes fondateurs du droit français et la cour de cassation s’y réfère encore de nos jours, bel exemple de longévité dont les législateurs du temps présent feraient bien de s’inspirer. Sa principale disposition concerne l’usage du français pour la rédaction des actes publics, en lieu et place du latin. Autre disposition de grand intérêt pour les généalogistes, elle impose la tenue, dans chaque paroisse, d’un registre des baptêmes. Ces registres doivent être déposés au tribunal royal du lieu chaque année. Mais ces dispositions restent presque partout lettre morte. Car l’autorité royale, qui a imposé ce travail à la seule organisation sociale couvrant la totalité du territoire, la religion, n’est pas le seul chef des exécutants du terrain. Les curés des paroisses répondent aussi à leur propre hiérarchie, en la personne des évêques, pas forcément convaincu de l’intérêt de cette mesure. Mais peut-être s’agit-il tous simplement de cette inertie administrative qui est, avec d’autre particularités plus ou moins caricaturales, née bien avant Courteline et lui a survécu comme nous pouvons le constater presque quotidiennement.

    Quelques décennies plus tard, un des canons du concile de trente renforcera l’ordonnance sans beaucoup plus de succès sur le terrain. En 1579, l’ordonnance de Blois étend la portée des registres aux actes de mariage et sépulture. En 1667, l’ordonnance de saint Germain en Laye uniformise la rédaction des actes et impose la tenue des registres en double. L’un reste à la paroisse et l’autre est déposé au greffe du bailliage local.

    Nous en sommes là au moment où se déroulent les événements de ce billet. Mais la religion s’est livré à de tels abus que des pans entiers de la chrétienté font défaut à l’autorité papale. A l’intérieur même de l’église catholique les jansénistes contestent le pouvoir absolu de la monarchie de droit divin et prônent la réforme. Ces thèses trouvent un écho très favorable auprès des curés de villages, témoins des difficultés rencontrés par leurs ouailles et de l’extraordinaire décalage avec la magnificence de la vie à la cour de Versailles. Car le roi qui est à ce moment sur trône n’est autre que Louis XIV, le roi soleil. Bien sûr, celui-ci ne porte pas les janséniste dans son cœur et bien que ses relations avec la papauté n’est pas toujours été des plus des plus cordiales, il obtient du pape Clément XI qu’il fulmine en 1713 la bulle unigenitus qui condamne les thèses jansénistes. Cette condamnation est très mal vécue par une bonne partie de l'épiscopat français et, par mesure de rétorsion contre le pouvoir royal, les prêtres cessent de rédiger le double des registres paroissiaux.

    La révolution va séculariser la tenue des registres qui deviendront d’état civil. L’exemplaire en double détenu par l’autorité religieuse est versé aux archives départementales. Donc de 1715 à 1737, date à laquelle les curés de village reprendront la tenue du registre double, celui-ci manque dans beaucoup de départements.

    Les rares lecteurs qui n’ont pas oublié la question en lisant ces lignes connaissent donc la réponse. Les autres sont invités à une seconde lecture.

    Cette évocation du contexte historique et religieux éclaire d’un jour nouveau les événements d’un billet récent, intitulé « les noces mouvementées de Jacques Chéron et Geneviève Clichy ».

    En effet les protagonistes de ces événements, en ce qui concerne la rédaction des actes, sont d’une part les curés des villages d’Asnières sur Oise, Viarmes et Vilaines en France sans doute favorables aux thèses jansénistes puisqu’ils ont cessé pendant vingt ans de rédiger les actes en double et de l’autre les pénitents du couvent de Franconville établi près du château sur les terres de la paroisse de Saint Martin du Tertre qui appartiennent à l’ordre franciscain, opposé aux jansénistes.

    Cette guerre autour d’un mariage et les problèmes qui en découlent pour les généalogistes sont sans doute une péripétie de l’affrontement entre deux tendances dans le monde catholique.

    Conclusion en forme d’éloge de la laïcité et de conseils aux monarques dirigeant un état, qu’ils portent un turban ou une autre coiffe, au cas improbable ou ils liraient ces lignes : on a tout à gagner à éloigner de la conduite d’un état les questions de croyance qui n’ont rien à faire en dehors de la sphère privée, en particulier lorsqu'elles sont religieuses.


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