• Il n’est pas rare de rencontrer des mendiants dans les pages des registres paroissiaux. C’est presque toujours leur décès qu’on y acte. Et ce sont souvent des personnes nées loin de la paroisse où se termine leur vie car l’errance est la compagne de misère de la mendicité.

    Pourtant, Jean Langlois, dont il va être question dans le billet, a bien terminé sa vie à Viarmes dans la Val d'Oise, l’endroit même où il est né.

    Mais commençons par le début, en lisant son acte de décès.

    la déchéance de Jean Langlois

    L’an mil sept cent cinquante-huit le vendredi dix-septième

    jour du mois de février, le corps de Jean Langlois vivant

    mendiant habitant de cette paroisse âgé de quatre-vingt ans

    ou environ, trouvé noyé depuis trois jours suivant les apparences

    dans un ruisseau nommé le rû du fréval en ce terroir inhumé

    dans le cimetière de ce lieu par moi prêtre curé de cette paroisse

    soussigné. En présence de Denis Langlois son neveu et d’Antoine

    Langlois son cousin tous vigneron demeurant en ce lieu témoins

    Qui ont signé

    Avant de nous pencher sur ce qu’on peut reconstituer de la personnalité et de l’histoire de la vie du malheureux Jean Langlois, je vous propose d’examiner les circonstances de sa mort. Selon l’acte il s’est noyé dans le ru de Fréval, trois jours auparavant, si on se fie à l’apparence du corps retrouvé.

    Ce modeste cours d’eau prend sa source en plein village, à deux pas de l’église St Pierre et St Paul, celle au pied de laquelle on trouve la plaque érigée à la mémoire des soldats morts pour la France que nous avons évoqué dans un billet précédent intitulé « tragédie grecque, complément d’enquête ».

    Le ru de Fréval se dirige vers le nord, aujourd’hui en partie de façon souterraine. Voici la carte IGN de Viarmes aujourd'hui, avec le ru de fréval.

    la déchéance de Jean Langlois

    Si on se fie aux cartes plus anciennes visibles sur le site géoportail de l’IGN, le ru coulait en surface sur tout son trajet jusqu’en 1950 et donc lorsque Jean Langlois s’y est noyé. On peut aussi voir en comparant cette carte de 1950 à la carte actuelle que l’étang situé à la hauteur de la source du ru de Fréval de l’autre coté de le rue de Paris n’existait pas sur la carte la plus ancienne. L’histoire locale retient toutefois que, sans doute où se trouve aujourd’hui l’étang aménagé, on trouvait une mare qui attirait les oies sauvages. Viarmes s’est même appelée Viarmes-les-oies ! Je pense que cet étang, comme la mare autrefois, est alimenté par la même source que le ru de Fréval.

    Voici la carte de Viarmes vers 1950

     la déchéance de Jean Langlois

    Si on remonte encore le temps, la carte d’état-major qui date du XIXeme siècle montre un ru de fréval coulant à travers champs, sans aucune habitation à proximité.

     

    Carte de Viarmes au XIXeme siècle, le ru de Fréval n'est pas nommé mais figuré par le trait pointillé bleu

     

    la déchéance de Jean Langlois

     

    Pour matérialiser le cadre des événements, voici une photo de carte postale de Viarmes  prise vraisemblablement au milieu du XXème siècle. On y voit au premier plan l'étang et au fond l'église St Pierre et St Paul. L'église existait bien au moment ou vivait Jean Langlois, mais elle elle a été restaurée en 1885, si le fantôme de jean revient à Viarmes, il ne la reconnaîtra peut-être pas.

    la déchéance de Jean Langlois

     

    Enfin voici le profil altimétrique du ru de Fréval, tracé à partir de l'outil Géoportail. 

    Une trentaine de mètres de dénivelé sur une distance de 2,25km, pas vraiment un torrent de montagne...la déchéance de Jean Langlois

     

    C’est tout ce qu’on peut dire du cadre dans lequel Jean Langlois a trouvé la mort. Laissez vagabonder votre imagination pour créer votre propre version de la disparition d’un septuagénaire, en plein mois de février, si peu entouré de proches et d’amis qu’il s’écoulera plusieurs jours avant qu’on découvre son cadavre, peut-être même par hasard…

    Si un lecteur - ou une lectrice- viarmois(e) peut nous en dire plus sur ce ru de Fréval et son histoire, c’est bien volontiers que je corrigerais les erreurs du texte, s’il en contient.

    Pour en finir avec les considérations hydrologiques, nous noterons que les eaux du ru de Fréval se jette dans l’Ysieux, avec un système permettant l’alimentation des plans d’eaux de l’abbaye de Royaumont. L’Ysieux est un affluent de la Thève, elle-même affluent de l’Oise. Il n’est peut-être pas inutile de parler aussi des moulins qui, dans le Val’Oise comme partout ailleurs en France, sont les témoins survivants de l’activité humaine des siècles passés. Je n’ai trouvé dans les registres de Viarmes trace que d’un seul moulin, dit moulin de Giez. C’est l’eau de l’Ysieux qui faisait tourner sa roue et il est situé en amont du confluent avec le ru de Fréval. Edme Oudaille, le meunier du moulin de Giez, contemporain de Jean Langlois, n’a aucun lien de parenté avec l’auteur de ces lignes. Avec ma famille je dois donc me contenter des gènes de meuniers hérités des Paret, les meuniers du versant rhodanien du massif du Pilat dont il a été beaucoup question sur ce blog il y a quelques temps.

    Il est temps à présent de revenir à Jean Langlois.

    Au XVIII ème siècle, lorsqu’un mendiant disparaît il est n’est pas inhumé dans un complet anonymat. On cite souvent sa paroisse d’origine car, bien qu’en marge de la société de l’époque, il semble qu’ils bénéficiaient d’un certain mode d’intégration dans la vie du village, sous la forme du couvert et, peut-être, du gîte charitablement offerts. Les habitants du village connaissaient les grandes lignes de leur vie, leur âge et leurs origines. Mais les témoins de l’inhumation sont plutôt les incontournables de la paroisse, clerc ou bedeau de l’église. Tel n’est pas le cas de Jean Langlois puisque l’acte de sépulture cite Denis Langlois le neveu du défunt et Antoine Langlois, son cousin, comme témoins.

    Langlois et jean sont respectivement le nom de famille et le prénom le plus commun à Viarmes à cette époque. Il y a en fait pléthore de Jean Langlois et il n’est pas toujours simple d’identifier à qui on a à faire !

    A telle enseigne que sur les arbres partagés sur le site Généanet, aucun Jean Langlois n’est décédé en Janvier 1758. Je vais me répéter, cette absence vient sans doute que toutes les informations présentes dans les actes n’ont pas été exploitées.

    Partons de Denis Langlois, car Denis est un prénom bien moins commun que Jean. Nous connaissons quatre Denis Langlois. Le premier de la liste est décédé en 1676 et le second en 1750. Ils n’ont pas pu être présents à l’inhumation de Jean Langlois. Reste Denis Langlois, né en 1698 fils de Nicolas Langlois et Marguerite Langlois. Quand je vous disais que Langlois était un nom courant…

    Nous n’avons pas l’acte de décès de ce Denis-là. Il n’est cité dans aucun acte. Il n’est même pas certain qu’il vive toujours à Viarmes. Nous ne connaissons de toute façon à aucun de ses deux parents un frère prénommé Jean. Ce Denis-là n’a donc pas d’oncle prénommé Jean ni du côté paternel ni du côté maternel.

    Il y a enfin Denis Langlois, né en 1708, fils de Denis Langlois et Marie Vernon. Il est cité dans de nombreux actes entre 1728 et 1754. Et son père a bien un frère prénommé Jean, né en 1687, en fait le seul oncle du témoin Denis à se prénommer Jean. Il a donc 70 ans en 1758 et non 80 comme mentionné dans l’acte, mais une erreur de dix ans sur l’âge une personne n’a rien d’exceptionnel.

    De plus la signature de Denis Langlois au bas de cet acte peut être comparée à celle qu’on trouve sur d’autres actes tel que, par exemple, celui du décès de sa mère Marie Vernon. Cet extrait de l’arbre généalogique vous montre la relation entre le Jean le défunt et le Denis témoin à l’inhumation. Comme je suis sympa, j'ai entouré de rouge les cases où se trouve l'oncle et le neveu

    la déchéance de Jean Langlois

    La question de l’autre témoin à l’inhumation de Jean Langlois, le dénommé Antoine Langlois, est plus complexe car le terme de cousin désigne un très grand nombre de personne. Essayons toutefois d’identifier qui est le signataire.

    Un candidat sérieux semble être Antoine Langlois, né en 1719, fils d’Antoine et Marguerite François dont la signature, relevée sur d’autres actes est similaire à celle qu’on trouve sur l’acte de décès de Jean Langlois, notre énigmatique mendiant. Et l’arrière-grand-père d’Antoine Langlois, lui-même prénommé Antoine, époux de Jeanne Lebas est aussi le grand-père de Jean Langlois, ce qui fait d’eux de lointains cousins.

    la déchéance de Jean Langlois

    Les preuves me paraissent suffisantes pour affirmer que Jean Langlois, le mendiant décédé en 1758 est bien le Jean Langlois né en 1687. Pourtant, un autre aspect est à considérer. Jean Langlois semble avoir eu une vie absolument « normale » avant de tomber dans la mendicité. Né septième et dernier enfant du couple formé par Lucien Langlois et Marguerite Demery. Il épouse à l’âge de 20 ans Anne Soret. Celle-ci décèdera après trois ans de mariage, sans avoir d’enfant. Après quelques mois de veuvage, Jean épouse Marie Marguerite Beaucé. Deux enfants vont naître de ce second mariage. Jean en 1711 et Marie Françoise en 1714. Cette dernière ne vivra que cinq ans. Quant à Jean le fils ainé du couple, nous n’avons comme trace de lui dans les registres paroissiaux de Viarmes que sa présence comme parrain lors de baptêmes en 1725, 1730 et 1732. Il est alors âgé de 14, 19 et 21 ans. Sur les arbres visibles sur le site de Geneanet, aucun mariage pour lui. Et il n’est apparemment pas présent lors de l’inhumation de son père. Celui-ci apparait par contre de très nombreuses fois, vingt exactement, soit comme parrain ou comme témoin. Il est cité une dernière fois à l’occasion du décès de sa seconde épouse, Marie Magdeleine Beaucé le 25 février 1751. Cet acte précise comme les précédents qu’il est vigneron et il signe avec une belle écriture, il est donc lettré.

    C’est donc entre 1751 et 1758 que tout bascule pour lui et qu’il meure dans la misère, noyé à quelques hectomètres du village dans lequel il a toujours vécu. Comment expliquer une telle déchéance ? On ne peut qu’émettre des hypothèses. Jean vivait sans doute de son labeur, même si le métier de vigneron apparait un peu au-dessus de celui de manouvrier dans la hiérarchie du travail. Il est maintenant âgé et peut-être malade, ses frères sont tous morts ou ne vivent pas à proximité. Il est peut-être comme nous sans nouvelles de son fils Jean. Il est sans ressources et peut-être sans toit.

     

    Autre hypothèse, Jean le mendiant n’est pas, contrairement à mes conclusions, Jean le vigneron. Peut-être allons-nous découvrir un peu plus loin dans les registres paroissiaux qu’il est témoin au mariage de son fils jean ou à l’inhumation d’un proche. Il me faudra alors vous présenter dans un nouveau billet une version nouvelle de la fin de la vie de Jean Langlois.


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