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Divorce et télégraphe (1)
Ce billet va nous remmener dans le Val d’Oise, mais à Luzarches et non à Viarmes. Je n’ai pourtant pas abandonné le décryptage systématique des registres de cette commune. Mais selon une loi votée sous le directoire, le 13 fructidor de l’an VI (30 août 1798), les mariages de chaque canton de la république doivent dorénavant être célébré au chef-lieu de canton, chaque décadi.
Le décadi est le dixième jour de chaque mois du calendrier républicain. Les mois comptant trente jours, il y a trois décadis par mois. Viarmes appartient au canton de Luzarches. Nous retrouvons aussi dans ce canton, depuis 1790, les communes suivantes : Asnières sur Oise, Bellefontaine, Belloy en France, Chaumontel, Epinay Champlatreux, Jagny sous-bois, Lassy, Le Plessis Luzarches, Noisy sur Oise, Seugy, et Saint Martin du Tertre.
Ce qui fait treize communes en tout. Le nombre de mariage qu’on trouve dans ce registre est donc bien plus important que celui de la seule commune de Viarmes. De plus la lecture des actes de ces communes, toutes bien sûr voisines de Viarmes, favorise ce que j’appelle le vagabondage généalogique.
Lorsqu’on lit un acte de mariage, trois cas peuvent se présenter. Si les deux futurs époux sont déjà connus et présent dans l’arbre généalogique sur lequel on travaille, il suffit d’ajouter l’union. Si aucun des deux futurs époux n’est connus, c’est encore plus simple, on passe à l’acte suivant. Mais rien ne prouve qu’il ne faudra pas revenir un jour sur ce mariage, si pour une raison quelconque un des deux futurs époux revient dans le paysage.
Un simple exemple : un des enfants issus de ce mariage épouse une personne que nous connaissons déjà. Venons en au dernier cas, un seul des deux futurs époux est connu. On peut bien sûr se contenter d’ajouter le nouveau venu dans l’arbre, mais mon choix personnel est de rechercher son acte de naissance et l’acte de mariage de ses parents.
Ceci est particulièrement important lorsque la personne en question est originaire d’un lieu éloigné car il y a de bonne chance que cet acte, posté sur les sites de partage tel que geneanet, apporte la solution d’une énigme qui gâche le sommeil d’un autre généalogiste.
Ce long préambule étant évacué, il est temps de passer à la lecture de l’acte de mariage de Jean Nicolas Labouche et Véronique Antoinette Lecœur, dressé à Luzarches le dix thermidor de l’an VII (vingt-huit juillet 1799).
Aujourd’hui 10 thermidor l’an sept de la
République une et indivisible par devant
moi Benjamin Constant, président de l’administration
municipale du canton de Luzarches département de Seine et Oise
autorisé par la loi à remplir les fonctions d’officier de
l’état civil quant à la célébration des mariages accompa-
gné du secrétaire de ladite administration sont comparus
au lieu de la réunion décadaire pour contrat et
mariage d’une part Jean Nicolas Labouche
agent télégraphique au poste de Martin du Tertre
y demeurant âgé de trente neuf ans fils de
Jean Labouche et de Marguerite Maréchal tous deux
décédés et d’autre part Véronique Antoinette
Lecœur fille d’Antoine Lecœur et de Marie
Honorine Dorléans âgée de vingt sept divorcée
d‘avec Pierre Levesque lesquels futurs conjoints
étaient accompagnés de Jean Baptiste Breton
manouvrier âgé de quarante ans beau-frère de la
future et Jacques Alexis Meunier cultivateur âgé
de trente cinq ans ami des futurs le premier
demeurant à Martin du tertre et le second à
Viarmes Pierre Alexis Lahoche employé à
L’administration municipale du canton de
Luzarches âgé de trente trois ans demeurant au
Plessis les vallées ami des futurs et Michel
Jumel agent municipal de Champlatreux
Y demeurant ami des futurs âgé de cinquante-
trois ans
Moi Benjamin Constant après
avoir fait lecture en présence des parties et des
témoins 1er de l’acte de naissance de Jean
Nicolas Labouche en date du cinq mai mil
sept cent soixante qui constate qu’il est né
en la commune de Longuyon département de
la Mozelle du mariage légitime de
Jean Labouche et de Marguerite
Maréchal 2em de l’acte de naissance de Véronique
Antoinette Lecœur en date du vingt octobre mil sept
cent soixante-douze portant qu’elle est née en la commune
de Martin du tertre du mariage légitime d’Antoine
Lecœur et de Marie Honorine Dorléans 3em de
l’acte de divorce de laditte Véronique Antoinette Lecœur
en date du vingt trois floréal dressé par l’agent municipal
de Martin du tertre 4em de l’acte reçu par le citoyen
Boucher notaire public à la résidence de Luzarches
Le huit thermidor présent mois portant que Jacques Alexis
Meunier cultivateur demeurant à Viarmes et Jean Baptiste
Breton demeurant à Martin du Tertre ont attesté qu’ils
connaissaient parfaitement le citoyen Jean Nicolas Labouche
et qu’ils savent qu’il n’a contracté aucun mariage tous les dits
actes en bonne et forme. 5em de l’acte de publication de
mariage entre les futurs conjoints dressé par l’agent
municipal dudit Martin du Tertre le sept thermidor
présent mois et affiché, après aussi que Jean Nicolas
Labouche et Véronique Antoinette Lecœur ont déclaré à
haute voix se prendre mutuellement pour époux
j’ai prononcé au nom de la loi que Jean Nicolas Labouche et
Véronique Antoinette Lecœur sont unis en mariage et j’ai
rédigé le présent acte que les parties et les témoins
ainsi que le secrétaire de ladite administration ont
signé avec moi à l’exception desdits Meunier et Breton
qui ont déclaré ne le savoir. Lesdits jours mois et
an que dessus heure de midi.
Cet acte contient de nombreuses informations très intéressantes. Commençons par le futur marié. Jean Nicolas Labouche est natif de Longuyon, ville située en Meurthe et Moselle, près de la frontière belge. Voici un parfait exemple de ce que je mentionne dans le préambule de ce billet. Si un jour un généalogiste s’intéresse à Jean Nicolas Labouche dans le cadre de recherches dans sa ville natale, il saura le plus facilement du monde, grâce à internet et aux sites de partage, que celui-ci s’est marié dans la Val d’Oise, à plus de trois-cent kilomètres de son lieu de naissance.
Son épouse, Véronique Antoinette Lecœur, est divorcée de Pierre Levesque. Le divorce était prohibé sous l’ancien régime et c’est une loi votée en 1792 qui le rend de nouveau possible. (il était possible de divorcer dans le droit romain mais la religion, comme toujours bien en phase avec son temps, avait réussi à rendre le mariage indissoluble au moyen âge). Le divorce entre Véronique Antoinette Lecoeur et Pierre Levesque a été prononcé le vingt-trois floréal de l’an VI (12 mai 1798) à la maison commune de Saint Martin du Tertre. Je vous épargne la lecture de cet acte. Il suffit de savoir que le divorce est prononcé par consentement mutuel et que le couple n’a pas eu d’enfant.
Il est certain que le couple est séparé depuis bien plus longtemps. En effet, grâce aux travaux de Monique Drouhin, qui a indexé et mis en ligne sur geneanet certains registres sauvés de l’incendie de l’hôtel de ville en 1871, nous savons qu’un enfant est né, le trois août 1797, du couple formé par Jean Nicolas Labouche et Véronique Antoinette Lecœur.
Le trois août 1797, a tété baptisée par M ?? Adélaïde née de ce
jour, fille de Jean Nicolas Labouche, agent du télégraphe, et d’antoi-
nette Véronique Lecœur demt rue des ?? Le parrain Jean
Baptiste Labouche la marraine Margueritte ??
L’acte de baptême ne précise pas que la maman de la petite Adélaïde est, au moment de la naissance de sa fille mariée à Pierre Levesque. Il n’est pas non plus question de cet enfant dans l’acte de mariage entre Jean Nicolas et Véronique Antoinette. Peut-être existe-t ’il quelque part un acte de reconnaissance de cet enfant. Si notre chemin nous fait croiser plus tard Adélaïde Labouche, il sera intéressant de savoir si elle a eu besoin de démontrer sa filiation et comment elle y est parvenue.
Il faut aussi s’attarder sur la profession déclarée par Jean Nicolas Labouche dans son acte de mariage : « agent télégraphique ». A la naissance de son enfant, à Paris deux ans auparavant, il était agent du télégraphe. C’est l’occasion de revenir sur l’invention de Claude Chappe, le télégraphe optique, destinée à communiquer à distance de façon rapide, ou tout du moins plus rapide qu’un messager portant une dépêche à cheval.
Nous n’entrerons pas dans le détail des aspects techniques de cette invention, on trouve une importante littérature sur la question pour ceux qui seraient intéressés. En quelques mot le télégraphe est constitué d’un mat sur lequel est fixé un bras principal articulé et, à chaque extrémité du bras principal, une aile articulée sur ce bras. Chacun de ces éléments mobiles peut prendre différentes positions. A chacune de ces positions correspond un code.
Les postes télégraphiques sont situés sur des point hauts de la topologie. Il y a dans chaque poste deux lunettes optiques braquées l’une sur le poste situé en amont dans la chaine de transmission, l’autre sur le poste situé en aval. Un opérateur observe le télégraphe distant dans la lunette. Lorsqu’une communication est établie, il recopie sur son propre télégraphe la position des élément mobiles qu’il a relevé sur le poste distant. Ainsi, l’informations est propagée jusqu’à son destinataire. L’information apparaît sous la forme d’une série de codes et seul le destinataire possède la clef permettant de transcrire en clair le message. Les postes sont distants de quelques dizaines de kilomètres.
Ce système a été utilisé en France entre 1794 et 1845, lorsqu’est apparu le télégraphe électrique. La principale trace qu’on peut trouver du télégraphe de nos jours, à part quelques appareils conservés et restaurés, est la présence sur les cartes de lieux dits nommés « télégraphe ». En 1844, Il y avait en 534 tours de télégraphes sur le territoire français. Cherchez autour de vous, vous trouverez certainement l’endroit où se trouvait un télégraphe.
Saint Martin du Tertre est un lieu important dans l’histoire du télégraphe. C’est en effet entre le point haut de ce village (appelé aujourd’hui bois du télégraphe) et la butte de Ménilmontant à Paris (rue du télégraphe aujourd’hui) qu’ont été réalisés, le douze juillet 1793 les premiers essais du télégraphe. Ménilmontant est, à égalité avec la butte Montmartre, le point le plus élevé de Paris à 128 mètres. A Saint Martin du Tertre, qui porte bien son nom, le bois du télégraphe culmine à 181 mètres. La communication passait par le télégraphe d’Ecouen situé à une altitude de 154 mètres.
Voici, extraits d’anciennes cartes d’état-major, les trois sites impliqués.
A Paris :
Le nom « télégraphe de St Fargeau » vient du parc de l‘ancien château des Lepeletier de St Fargeau, comté de l’Yonne. Une station de métro de la ligne 11 se nomme télégraphe en hommage à l’invention.
A Ecouen :
A Saint Martin du tertre
Voici, toujours sur une carte d’époque le tracé de la ligne télégraphique utilisée lors de cet essai. L'outil de mesure de distance de Geoportail, le site de l'IGN sur lequel j'ai récupéré ces cartes, nous indique que la distance totale entre Menilmontant et Saint Martin du Tertre est de près de 26km.
Enfin, voici le profil altimétrique de cette ligne. On voit que les stations de télégraphe étaient situées en des points choisis avec soin, pour garantir la meilleure vue possible sur les stations avec lesquelles elles communiquaient.
Suite au succès de l'essai du 13 juillet 1793, la décision de construire la première ligne télégraphique fut prise. Elle reliait Paris à Lille. Et Jean Nicolas Labouche travaillait à la station de Saint Martin du Tertre au moment de son mariage avec Véronique Antoinette Lecœur.
La principale utilisation du télégraphe, sinon la seule, fut militaire. Pendant la révolution, la France était menacée sur beaucoup de ses frontières et la rapidité des échanges entre les points les plus éloignés du territoire et le pouvoir central, à Paris, était de la plus haute importance.
Nous voici arrivé à la fin de ce billet, pourtant il reste dans l’acte de mariage de Jean Nicolas Labouche et Véronique Antoinette Lecœur une information sur laquelle il serait mérité qu’on s’attarde.
Amis lecteurs, saurez vous trouver quel sera le sujet du prochain billet grâce à l’indice caché -mal- dans cet acte ?
Une médaille sera décernée à l’auteur de la première bonne réponse.
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Commentaires
J'ignore si la proposition de Mireille aura une quelconque influence sur la supposée perplexité des lecteurs, mais je peux dire qu'il ne sera question dans un avenir proche sur ce blog d'aucun frère d'un Antoine. A moins que le personnage central du prochain billet n'ai eu un frère caché.
Donc la médaille est toujours disponible.
3MireilleDimanche 3 Novembre 2019 à 18:01Je note que l'auteur de ce blog (qui est aussi mon frère, petite précision pour les lecteurs non membres de la famille) , traite avec une certaine désinvolture les liens familiaux... En effet, Antoine est le frère de Jean Baptiste Breton, témoin du mariage. Or Antoine est un de nos ancêtres directs, et, par conséquent Jean Baptiste est un oncle lointain...Oncle qui n'aura pas l'honneur d'être le héros du prochain billet, et qui me prive d'une médaille que je croyais bien méritée.
Poursuivant l'analyse de l'acte, je propose une 2ème hypothèse: l' acte de mariage est rédigé le 10 thermidor., et l'acte de publication de mariage a été dressé et affiché le 7 thermidor, soit 3 jours avant le mariage. Or, d' après le décret du 20 septembre 1792:Art. 3. - Le mariage sera précédé par une publication faite le dimanche, à l'heure de midi, devant la porte extérieure et principale de la maison commune, par l'officier public : le mariage ne pourra être contracté que huit jours après cette publication.
mariage invalide?
4quagliataDimanche 22 Décembre 2019 à 11:21Rien compris, j'ai pris du retard je n'avais pas vue le dernier article je vais donc me replonger dans tout ça pour gagner la médaille si convoitée, bonnes fêtes aux parisiens !
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Dimanche 22 Décembre 2019 à 11:56
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5quagliataMardi 21 Janvier 2020 à 12:35si l'hypothèse "Breton" n'est pas retenue, ni la piste de l'enfant né d'une union adultère (j'ai suivi?) peut être le prochain billet expliquera pourquoi il faut compter sur la bonne déclaration des copains du marié ? : ils connaissaient parfaitement le citoyen Jean Nicolas Labouche
et qu’ils savent qu’il n’a contracté aucun mariage ?
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Je pense que le prochain article sera consacré à un des témoins du mariage. Mais, pour ménager le suspense, tout en ajoutant un indice susceptible d'aider les lecteurs perplexes, je me contenterais de donner le prénom du frère de ce témoin: Antoine.
J'attends avec impatience la médaille.