• La maison familiale de Gencenas (3) : mystère dans l'étude du notaire

    Comme promis, nous voici de retour sur le sujet de l’histoire de la maison familiale de Gencenas pour un troisième et dernier billet, au moins pour le moment.

    Tout au long de ce billet, vous trouverez des extraits des actes cités. A la fin, des liens vous permettront d’accéder aux textes complets.

    Vous vous souvenez que lors de l’achat par le couple Claudy Boucher et Amélie Chantelouve de cette maison à leur oncle Jean baptiste Boucher et à sa femme Rosalie, le notaire avait précisé dans l’acte que le terrain sur lequel était construite cette maison était hérité du père de Jean Baptiste et qu’il avait construit, pendant son mariage, la maison qu’il est en train de vendre. Et il faisait référence à un acte reçu chez Camier, notaire à Chavanay en 1871. Étrangement la date exacte n’est pas précisée, un peu comme si ce notaire n’avait fait que cela dans l’année. Plus vraisemblablement, il a simplement noté ce que lui disait le vendeur qui ne se souvenait pas de la date exacte.

    Nous avons, dans la liasse de papiers récupérés à Gencenas, un acte effectivement dressé chez Me Camier, à Chavanay le 17 aout 1871 qui est certainement celui auquel il est fait référence.

    Cet acte rappelle que, le 23 mai de la même année, Le couple Jean Baptiste Boucher Jeanne a fait don de tous ses biens à ses enfants.

    Ces biens sont détenus par ces enfants depuis cette date, en indivision. L’acte qui va être signé aujourd’hui vise à faire cesser cette indivision en répartissant les biens entre les huit enfants.

    Pour être tout à fait complet, il faut aussi signaler que dès 1869, un premier partage a été réalisé entre Jean Baptiste Boucher, le père, et Jean Baptiste Boucher son fils aîné au titre de préciput, tel que mentionné dans le contrat de mariage entre Jean Baptiste Boucher, le fils, et Rosalie Boucher. Ce terme barbare de préciput désigne la faveur faite à l’aîné des garçons lui garantissant, lors de la succession, un quart de tous les biens à partager. C’est une tradition qui permettait à l’héritier du titre, chez les nobles, de tenir son rang. Lors de ce partage, Jean Baptiste Boucher, le fils aîné, se voit attribuer un certain nombre de parcelles de terrain situées sur la commune de Bessey et, en reprenant les termes du notaire :

    La maison familiale de Gencenas (3) : mystère dans l'étude du notaire

     

     

     

     

     

     

     

     

    8° la totalité de l’angar situé à Gencenas contigu à la maison d’habitation

    9°une parcelle du jardin sis à Gencenas à prendre du côté nord, ayant un peu plus de la moitié de la contenance totale selon les limites plantées par les co-partageants.

    Il est aussi précisé qu’un mur sera construit pour séparer le hangar de la bassecour restant au père. Si le hangar est celui qui se trouvait au bas de la cour en forte pente, je ne me souviens pas qu’un mur le séparait de cette bassecour. Il en va ainsi des promesses faites devant les notaires.

    Revenons maintenant en 1871, pour partager les trois quarts restants. Jean Baptiste Boucher, le père, a soixante-six ans. Il a eu avec son épouse, qui a deux ans de moins que lui, huit enfants. Fait exceptionnel pour l’époque, tous ont vécu. Il y a bien eu un décès au foyer du couple, mais c’est celui d’une nièce que j’ai trouvé, en dépouillant systématiquement les actes enregistrés à Bessey. Attardons-nous un instant sur cet événement qui nous en apprend un peu plus sur ce qu’était la vie à la campagne au milieu du XIXème siècle.

    Cette nièce s’appelle Marie et est la fille de Joseph Boucher, le frère de Jean Baptiste qui vit à Saint Paul en Jarez. Elle a trois ans et demi lors de son décès en 1854. Les huit enfants du couple ont cette année-là entre 6 et 20 ans, aucun n’est encore marié. Imaginez-vous aujourd’hui, avec huit enfants à charge, dont certains en relativement bas âge, héberger un neuvième enfant, même de la famille, que ce soit comme nourrice rétribuée ou pour rendre service. On n’hésitait pas à se serrer dans les logements en ce temps-là.

    La maison familiale de Gencenas (3) : mystère dans l'étude du notaire

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Revenons chez Camier notaire à Chavanay, le 17 août 1871. Tous les héritiers putatifs de Jean Baptiste Boucher père sont présents, les filles sont accompagnées de leur époux, sauf Rosalie, la future mère d’Amélie Chantelouve qui ne se mariera qu’en 1875.

    Cet extrait de l’arbre généalogique vous permettra de suivre plus facilement.

    La maison familiale de Gencenas (3) : mystère dans l'étude du notaire

     

     

     

     

     

     

     

     

    Et ça commence plutôt mal, au moment d’établir la liste de ces héritiers, deux des filles prétendent s’appeler Marie Rose. En fait, si l’aînée, née en 1834 porte bien se prénom, la seconde a été prénommée Marie, sur l’acte de naissance et c’est son père qui a choisi ce prénom puisque, sur cet acte, il est le déclarant. Et lors de son mariage, cinq ans auparavant, son prénom, Marie, est aussi correctement noté. Mais aujourd’hui, dans l’étude du notaire, tout le monde semble frappé d’amnésie et avoir deux filles portant le même prénom dans la même famille ne semble gêner personne. Et cela ne gêne pas trop le notaire non plus, qui a probablement déjà eu à faire à des situations identiques. Pas contrariant, il ajoute simplement à la suite du prénom de la deuxième Marie Rose, le qualificatif « la jeune ».

    La maison familiale de Gencenas (3) : mystère dans l'étude du notaire

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    S’ensuit une description de ces biens mobiliers et immobiliers sur laquelle nous ne nous attarderons pas. Retenons simplement sous le n° 13 de cette masse mobilière, une maison d’habitation au hameau de Gencenas composée d’une cave voûtée, d’une cuisine et chambre au-dessus avec grenier, fenils et écurie. Au nord de cette maison on trouve un hangar appartenant à Mousset, à l’est un jardin appartenant aussi à Mousset, au sud un bâtiment rural appartenant à Jean Boucher et à l’ouest, le chemin vicinal de Malleval à Pelussin. Cette description correspond exactement à celle de la maison vendue en 1904, exception faite du Jardin qui appartenait, au moins en partie, à Mousset en 1871 et est rattaché à la maison en 1904.

    La maison familiale de Gencenas (3) : mystère dans l'étude du notaire

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Ensuite, ce patrimoine est divisé en huit lots, un par enfant héritier. La description inclue les servitudes qui découlent du charcutage de certaines parcelles. La maison d’habitation est traitée séparément mais se trouve finalement dans le cinquième lot. Il est aussi précisé que le gagnant de ce cinquième lot devra réserver une pièce pour le logement du donateur. Pourtant, à son décès en 1888, il vit à tonard, près de Bessey, chez son gendre, le père d’Amélie. Il est aussi précisé dans l’acte de décès de Jean Baptiste qu’il est veuf au moment de sa mort. Pourtant, il n’y a aucune trace de son décès dans les registres de Bessey pour cette période. Auraient-ils profité de leur retraite pour voyager ? L’acte de partage de 1871 précise aussi que l’attribution de la maison au cinquième lot déséquilibre le partage et que le propriétaire de ce lot devra dédommager les autres héritiers.

    La maison familiale de Gencenas (3) : mystère dans l'étude du notaire

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Le tirage au sort attribue à Jean Baptiste Boucher, le futur vendeur de 1904, le lot n° 6, constitué de parcelles de terrain aux alentours de Gencenas, mais rien dans le village lui-même. Le cinquième lot, celui qui contient la maison, est attribué à Jean François. D’obscures dispositions financières sont appliquées pour respecter différents engagements.

    La maison familiale de Gencenas (3) : mystère dans l'étude du notaire

     

     

     

     

     

    L’ambiance doit être assez tendue. Le notaire note scrupuleusement les débats. On demande que soit tenu compte du fait que Jean Baptiste, le fils aîné a payé un remplaçant pour ne pas effectuer son service militaire. Mais Jean Baptiste objecte que c’est avec son argent que ce remplaçant a été payé et qu’il ne faut donc pas en tenir compte.

    La maison familiale de Gencenas (3) : mystère dans l'étude du notaire

     

     

     

     

     

     

     

    Il faut savoir qu’une loi de 1818 instaure un tirage au sort pour désigner les conscrits qui devaient faire cinq ans de service militaire, ce service était même de six ans jusqu’en 1872. Les gens qui en avaient les moyens pouvaient payer un homme pour qu’il prenne la place d’un malheureux au tirage.

    Claudy, le fils de Marie Rose, notre grand-père maternel lui aussi tirera vers 1899 un mauvais numéro mais il ne se fera pas remplacer. Son service militaire le conduira jusqu’en Chine pour participer à l’expédition contre la révolte des Boxers, dans un épisode de l’histoire familiale que nous vous raconterons un jour, lorsque les éléments nécessaires auront été rassemblés.

    Cet aparté militaire étant clos, il est temps de revenir à notre partage. Si vous avez bien suivi, vous savez que Jean Baptiste Boucher, le vendeur de 1904 a hérité, lors du partage réalisé par son père, dans un premier temps au titre de son quart de propriété, de plusieurs parcelles de terrain, du hangar situé près de la maison et d’une partie du jardin, puis dans un deuxième temps, lors du partage du reste, d’autres parcelles de terrain. Mais la maison elle-même a été attribuée, lors de ce partage à Jean François Boucher, gagnant du lot n° 5 au tirage au sort.

    Jean Baptiste Boucher conservait soigneusement tous ses papiers. Claudy Boucher, chez qui il a vécu la fin de sa vie, en viager, y ajouta les siens et sa veuve, notre grand-mère Amélie Chantelouve fit de même. C’est cette liasse de papiers qui m’a fourni la substance de ce billet. J’ai examiné chacun de ces documents. Il y a des quittances, quelques contrats de mariage et de nombreux actes de vente car les paysans de l’époque passaient leur vie à reconstituer un patrimoine de terres cultivables pour le voir impitoyablement charcuté lors des successions. Et aucun de ces actes ne concerne la vente de la maison de Gencenas par Jean François Boucher à son frère Jean Baptiste.

    Au moment du partage le 17 août 1871, Jean François est mentionné comme cultivateur propriétaire à Gencenas. Moins de deux semaines plus tard, le 30 août, il épouse Marie Mounier et déclare être cultivateur au lieu de Morzelas, commune de Malleval. Marie Mounier n’est d’ailleurs pas une inconnue, elle est la veuve de Jean Claude Boucher, dont le fils, Jean François Paul, épousera en 1888 Marie Rose Boucher, la fille de Jean Baptiste, le vendeur de 1904. Relisez le billet précédent sur la maison de Gencenas pour vous rafraîchir la mémoire. Les histoires des Boucher donnent décidément le tournis !

    Et ce laborieux billet débouche donc sur une question : que s’est-il passé entre le 17 août 1871, jour où Jean François Boucher a reçu en partage la maison de Gencenas et le 16 février 1904, jour où Jean Baptiste Boucher vends ce bien à son neveu Claudy ?

    Vous vous souvenez peut-être que le notaire mentionne, dans l’acte de vente de 1904, le partage de 1871, sans en donner la date exacte. Mon sentiment est que jean Baptiste, dont nous sommes absolument certains qu’il avait ce document à portée de main, puisque nous même sommes en mesure de le lire aujourd’hui, ne tenait pas à ce que le notaire en connaisse le contenu exact.

    Si l’un des lecteurs de ce billet est capable de répondre à la question posée juste au-dessus, il aura le devoir d’exposer son point de vue dans ce qui sera le quatrième billet sur cette demeure.

    Comme promis, voici les liens vers les textes complets, dans l'ordre chronologique :

    le contrat de mariage entre jean Baptiste Boucher et Rosalie Boucher, avec sur la page 2, l'article 3 qui concerne le préciput

    l'acte de partage de 1869

    l'acte de partage de 1871

    l'acte de vente de 1904, que vous connaissez normalement déjà.


  • Commentaires

    1
    Mireille C
    Lundi 7 Janvier 2013 à 17:43

    Par quel tour de passe passe la maison est-elle passée de Jean-François à Jean-Baptiste? Je n'ai pas de piste, mais je me réjouis de constater que Jean-François a peut-être réussi à sauvegarder une partie de son patrimoine: les terres qui lui sont revenues, lors du partage de 1871, ne sont pas sur l'acte de vente de 1904. 

    2
    mireille du dauphiné Profil de mireille du dauphiné
    Lundi 7 Janvier 2013 à 20:12

    Après une longue étude, voici une proposition, pour la maison:

    En 1871, Jean-François reçoit la maison de Gencenas et, autre fait notable, il se marie avec Marie Mounier. Or, vous vous souvenez certainement, Marie était la veuve de Jean-Claude Boucher, dont elle a eu un fils, Jean-François-Paul, âgé de 7 ans au moment de ce remariage. En 1888, Jean-François-Paul épouse Marie-Rose Boucher, la fille de Jean-Baptiste et Rosalie Boucher( la nièce de Jean-François, donc).

    On n'a pas la date exacte du décès de Marie, ni celle de Jean-François, ni celle de Jean-François-Paul,  mais imaginons... Si Jean-François et Marie décèdent sans avoir eu d'enfants ensemble,  si Jean-François-Paul et Marie-Rose habitaient cette maison, avec, déjà, Jean-Baptiste et Rosalie qui, je vous le rappelle , la vendent en viager en1904 . Si les deux jeunes décèdent avant les anciens (c'est vrai pour Marie-Rose)... A qui revient la maison? En 2013, l'état prendrait une part importante de la valeur, mais vers 1889? Peut-être Jean-Baptiste, occupant depuis quelque temps la maison, a t'il réussi à se l'approprier, en l'absence d'héritier direct.

    Simple supposition. En tout cas, il a bien fait, c'était une maison où il faisait bon vivre.

     

    3
    zogabu Profil de zogabu
    Lundi 7 Janvier 2013 à 20:49

    Analyse pertinente. En fait, Jean Baptiste et Jean François s'entendaitent sans doute assez bien car leur familles sont très liées. Jean François n'a pas besoin d'un logement car il a dèjà prévu de s'installer à Morzelas, probablement chez sa future épouse à Morzelas.Je viens de regarder son acte de dècès en 1864, le couple vivait bien à Morzelas.

    On a du s'arranger entre frères, devant un pot de rouge au bistrot le plus proche de l'étude du notaire.

    Mais pourquoi avoirchoisi le tirage au sort ? est-ce une obligation pour ce type de partage ?

    Ils avaient sans doute d'autres bonnes raisons de procéder ainsi. Un nouveau passage devant le notaire impliquait de payer celui-ci et, sans doute, des droits de mutation que ce partage était probablement destiné à éviter.

    S'ils avaient été vraiment malins, ils auraient un peu bricoler le tirage au sort, pour aider le destin. Mais, finalement tout le monde à l'air d'être satisafait, même Mireille, alors....

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    Quagliata
    Mardi 8 Janvier 2013 à 01:16

    Pour l'arrangement à l'amiable je le vois aussi comme ça. Mais quand même, pourquoi encore un mariage entre cousin? Je pense ici à Jean François Paul qui épouse sa cousine Marie Rose en 1888... Son beau père n'aura pas vécu dans la maison de Gencenas, et, du coup, lui non plus suite au déces prématuré de sa femme et de son fils quelques mois plus tard.... Je ne peux pas m'empêcher de me poser la question sur ce mariage: a t il été arrangé pour rétablir l'héritage de la maison dans la descendance de Jean François (même si Jean François Paul n'est que son fils "adoptif").... vous me suivez?

    Autre question histoire de vérifier si on a pas encore un cas "d'implexe": ce Jean Claude Boucher, 1er mari de Marie Mounier avait il un lien de parenté avec les Boucher que nous commençons à connaitre?

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    5
    zogabu Profil de zogabu
    Mardi 8 Janvier 2013 à 08:55

    une petite précision : sauf à découvrir un lien de parenté entre Jean Claude Boucher et nos propres aïeux, Jean François Paul et Rose Marie ne sont cousins que par l'alliance entre l'oncle de Rose Marie (Jean François) et la mère de Jean François Paul (Marie Mounier).Il n'y a donc pas de mariage consanguin prouvé à ce jour. et encore moins d'implexe puisque cette notion ne peut concerner que les descendants du mariage entre apparentés et, à part le pauvre Jean Baptiste Hippolyte qui n'a vécu que quelques mois, ce couple n'a pas eu de descendance.

    L'acte de décès de Jean Claude Boucher, à Malleval le 22 février 1864, nous apprend qu'il était lui même, au moment de son maraige avec Marie Mounier, veuf de Jeanne Marie Sophie Duculty. Il est né à Chavanay, vers 1795, puisqu'il a 69 ans lorsqu'il décede. Il est fils de Jean Boucher et de Jeanne Marie Sauzay.

    Ce couple là ne fait pas partie de ceux que j'ai rencontré à ce jour, mais Chavanay n'est qu'à deux pas de Gencenas et de nombreux Boucher de notre branche viennent de ce village.

    Il va falloir regarder ça de plus près. Y-a-t'il un(e) volontaire ? 1795 n'est pas forcément une période facile, on est au début de l'état civil républicain et c'est parfois un peu le foutoir.

    Pour l'arrangement entre frères après le tirage au sort, je me pose encore deux questions :

    - comment le notaire de 1904 a-t-il pu enregistrer cet acte de vente, dans lequel il a manifestement été trompé, sans que l'administration bronche ?

    - depuis 1798, il existait un impôt dit "contribution des portes et fenêtres" qui était apparement l'impôt foncier de l'époque. Qui a payé cette contribution entre 1871 et 1904 ?

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