• Le carnet de Paul Bonneton (II)

    Je m’étais préparé à écrire la suite du billet (le carnet de Paul Bonneton (I)) sur le fameux carnet de Paul Bonneton, travail considérable puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de revivre la grande guerre à ses côtés en rapprochant les noms de lieux notés par lui des journaux de marches et d’opérations des régiments auxquels il a appartenu.

    Vous devrez pourtant attendre pour cette expérience car, toujours sur le carnet, une inscription m’intriguait et je viens tout juste d’en comprendre le sens. Comme cela remet en cause les conclusions du premier billet, je donne la priorité au texte que vous êtes en train de lire.

    Vous vous souvenez peut-être que le nom de Mortimore apparaît à trois reprises parmi les adresses, peu après celle d’Henri Breton.

    Le carnet de Paul Bonneton (II)

     

    Le carnet de Paul Bonneton (II)

    La première donne une adresse rue des Ternes à Paris, adresse qui est la sienne à la naissance de ses deux enfants, Fred Henri le 10 septembre 1914 et Georges Albert le 7 janvier 1916. La suivante est textuellement :

    C mortimore

    C/O Middletown

    Car Company

    La Rochelle Charente Inférieure

    La troisième adresse est une adresse précise à La Rochelle, chez une certaine Mme Vignaud.

    La clef de l’énigme se trouve, vous l’avez compris, dans la seconde adresse.

    Le « C » qui précède le nom mortimore est l’abréviation de Charles.

    « C/O » sur la seconde ligne signifie « Care of », « aux  bons soins de », en bon français. Vous vous demandez peut-être pourquoi Paul Bonneton éprouve subitement le besoin de s’exprimer dans  la langue de Shakespeare. Soyez patient, vous le saurez bientôt.

    Middletown Car Company est le nom d’une filiale de la Standard Steel Car Company, une société américaine, deuxième constructeur de matériel ferroviaire sur le continent américain. Lorsque les américains entrent en guerre en 1917, les troupes venues d’outre atlantique débarquent à  La Rochelle et ils y installent un atelier pour monter des wagons de chemins de fer à partir de pièces venues elles aussi des Etas Unis. En effet, les américains veulent renforcer les moyens logistiques afin de lutter plus efficacement contre l’Allemagne. C’est l’armée qui se charge du travail et, en avril 1919, elle passe le relais à la Middletown Car Company. L’état français rachète les 38000 wagons construits pour l’effort de guerre et incite la société à rester en France pour y établir une industrie durable de construction de matériel de chemin de fer.

    Charles Mortimore a apparemment été impliqué, d’une façon ou d’une autre dans cette aventure. Peut-être que sa parfaite maitrise de l’anglais, sa langue maternelle,  a fait de lui un interprète pour les employés américains à leur arrivée en France. Charles avait 28 ans au début de la guerre et nous ignorons quelle fut son rôle dans cette tragédie, alors qu’il avait les deux nationalités française et anglaise. Est-ce le commandement militaire qui l’a envoyé à La Rochelle pour participer à la mise en place du dispositif ? Bizarrement, bien plus tard en 1945 lors du mariage de son fils Georges Albert, il déclarera qu’il exerce la profession d’interprète, alors qu’habituellement il dit travailler dans l’hôtellerie. Mais en 1945, il y a de nouveau beaucoup d’américains en France, et il n’est pas exclu qu’il soit redevenu interprète.

    Le carnet de Paul Bonneton (II)

    La seule chose certaine à retenir de tout cela, c’est que le scénario laborieusement imaginé d’une rencontre entre le compagnon Paul Bonneton de passage à La Rochelle pendant son tour de France et Charles Mortimore vers 1910 s’effondre, tel un château de carte.

    A quel moment Paul a-t-il  noté ces adresses dans son carnet ? Pour celle d’Henri Breton, forcément après son retour d’Allemagne le 2 janvier 1919 (il était prisonnier outre-Rhin, précision pour ceux qui ont du mal à suivre) et avant le départ de Charles Mortimore pour la Rochelle, puisque cette adresse est notée après dans le carnet, donc plutôt avant avril 1919. Les autres adresses, celles de Charles Mortimore ont été notées à l'occasion du déplacement vers la Rochelle. Charles ne sait apparemment pas où il va résider et il demande tout d'abord à Paul de lui écrire à la société pour le compte de laquelle il va travailler. Comme le courrier va être reçu par un américain, l’instruction de faire suivre est en anglais. Un peu plus tard, et donc un peu plus loin dans le carnet, Paul note l’adresse à La Rochelle que Charles vient de lui envoyer et où il doit dorénavant lui écrire. Ce qui prouve au moins qu’ils correspondaient de façon régulière. Il faut à ce sujet se souvenir que Paul n’a été démobilisé que le 31 juillet 1919. Il était encore en service actif au moment où se déroulent ces évènements. Et son mariage avec Jeanne Joséphine le 22 février a forcément été célébré pendant une permission.

    Il est notoire que les poilus écrivaient beaucoup, ce lien épistolaire avec leur ancienne vie était même sans doute ce qui les aidait le plus à supporter leur terrible condition. Comme les autres soldats, Paul voulait  garder contact non seulement avec son épouse mais aussi avec ses proches et il notait donc les adresses où les joindre dans le fameux carnet. On pourrait aussi s’étonner de l’absence totale d’Emile Caillet dans ce carnet alors qu’on sait que celui-ci était très proche de sa demi-sœur Jeanne Joséphine. L’explication est sans doute que, vu son jeune âge – Emile avait 14 ans en 1919- il vivait encore avec sa mère et sa demi sœur, à Viarmes. Et cette adresse-là, Paul n’avait pas besoin de la noter dans son carnet.

    A part le fragment de lettre de Claudy Boucher (Claudy Boucher, lettre du front), mon autre grand-père, à son épouse, évoqué dans un précédent billet, nous n’avons malheureusement aucune trace des correspondances avec nos ancêtres soldats.

    Reste la grande question qui n’a pas trouvé de réponse à ce jour, puisque l’hypothèse La Rochelle vers 1910 ne tient plus : comment Paul a-t-il rencontré Jeanne Joséphine ?


  • Commentaires

    1
    Mireille
    Lundi 15 Février 2016 à 06:36
    Quelle histoire! Bravo pour tes talents de détective.
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