• Le tour de France des Compagnons

    Le 22 février 1919, Paul Jean Félix Bonneton et Jeanne Joséphine Breton se marient à Viarmes, la ville natale de Jeanne. Ensuite, ils iront s’installer à St Pierre de Bœuf, le village où Paul exerce le métier de menuisier. Ils auront quatre enfants, dont Georges, futur Pépé de Condrieu.

    Depuis que Guy dépoussière les archives familiales, il découvre des abandons d’enfants, des adultères, des morts violentes… et des mystères : le mariage à Viarmes de nos grand-parents en est un, puisque, en ce début de vingtième siècle, les mariés étaient le plus souvent originaires du même village, parfois d’un village proche, pour les plus aventureux.

    Viarmes-St Pierre de Bœuf, la moitié de la France… Comment Paul et Jeanne se sont-ils connus ? Malheureusement, nous n’avons pas eu la curiosité de nous renseigner à temps.

    Comme il est peu probable que Jeanne soit venue à St Pierre de Bœuf, deux hypothèses sont envisageables :

    1ère hypothèse : Paul a pu connaître Jeanne lorsqu’il était soldat.

    2ème hypothèse : Paul, menuisier, a réalisé les très beaux meubles de la maison familiale. La qualité de ce travail est l’œuvre d’un artisan chevronné, pourquoi pas d’un compagnon menuisier ? Il aurait pu rencontrer Jeanne au cours de son tour de France.

    Après des recherches infructueuses sur internet, je fais appel à Clément, compagnon charpentier. Vivement intéressé par cette demande, il contacte un de ses amis compagnon et historien. La réponse arrive rapidement : notre grand père Paul Jean Félix et son père Jean Antoine étaient compagnons menuisiers du devoir, c'est à dire enfants de maître Jacques.

    Petite parenthèse historique : le compagnonnage remonterait à la construction du temple de Jérusalem, au temps du roi Salomon (Xème siècle av JC). Les légendes compagnonniques font référence à trois fondateurs légendaires: Salomon, Maître Jacques et le père Soubise. Maître Jacques est le maître des tailleurs de pierre, des menuisiers et des maçons. Il aurait été victime d’un assassinat, commandité peut-être par le père Soubise, maitre des charpentiers, jaloux de son autorité. Les compagnons ont acquis de l'ordre des Templiers des connaissances géométriques qui se transmettaient de bouche à oreille, de maître à élève. C’est grâce à ce savoir, que les compagnons ont pu diriger la construction des merveilleuses cathédrales du moyen âge.

    A l’époque de nos grands-parents, les jeunes motivés qui visaient l’excellence dans leur métier pouvaient espérer être compagnons. Ils étaient d’abord apprentis, puis aspirants et enfin compagnons, après la réalisation d’un chef d’œuvre. Cette formation prenait plusieurs années. Elle se faisait lors d’un tour de France où des cours leur étaient donnés dans les villes étape par des compagnons, et où ils travaillaient sur différents chantiers, leur permettant d’apprendre de nombreuses techniques. Voici deux cartes où sont notées les villes étape du tour de France de nos deux compagnons. Inutile de vous préciser que le point de départ est Saint Pierre de Bœuf. 

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Quelques précisions, apportées par  le copain de Clément :

    Le pays Bonneton Jean Antoine est reçu compagnon menuisier à Toulouse à la Sainte Anne (patronne des menuisiers) en 1873 sous le nom de "Jean Le Forézien".

    Le pays Bonneton Paul Jean Félix est reçu compagnon menuisier à Bordeaux à la Toussaint en 1910, sous le nom de "Paul le Forézien".

    (Le « pays » pratique son métier sur le sol en atelier et le « Côterie » pratique son métier en hauteur, sur les échafaudages).

    A partir de ces dates, on peut imaginer que Jean Antoine a débuté son tour de France en 1871, à l’âge de 20 ans, et qu’il l’a terminé vers 1876.

    Paul peut avoir débuté son tour de France en 1909, à l’âge de 20 ans également. Il est à Paris en 1912, et il est possible qu’il rencontre Jeanne au cours d’un bal des compagnons. J’ai trouvé des Breton, nom de jeune fille de Jeanne, dans les compagnons, au XVIIème siècle (mais Breton était un nom assez répandu), alors un oncle ou un grand oncle aurait pu chaperonner la jeune Jeanne. Paul termine son tour de France, et est mobilisé. Il correspond avec Jeanne et, à la fin de la guerre ils se marient. Ce dernier point est sûr, le reste … à vous de voir.

    Le compagnonnage existe toujours. Au cours des siècles écoulés, beaucoup auraient aimé le voir disparaître : la royauté, la révolution, la religion, le patronat… C’est dangereux, un groupe de travailleurs qui ne se contente pas d’exécuter, mais qui pense, qui est organisé, solidaire. Les compagnons ont été les premiers à se mutualiser et à faire grève. Après avoir failli disparaître entre les deux guerres, le compagnonnage a retrouvé un deuxième souffle : des maisons des compagnons remplacent les auberges dans les villes d’accueil… et le compagnonnage s’ouvre aux filles !

    Nous n’avons pas de photos de nos  grand-père et arrière-grand-père paternels, mais le choix de vie qu’ils ont fait nous en apprend beaucoup sur leur personnalité.

    Les recherches vont continuer pour tenter d’en savoir plus sur nos foréziens.

    Les compagnons ont laissé beaucoup de traces derrière eux et de nombreuses archives existent, auxquelles il n’est malheureusement presque toujours pas facile d’accéder car les compagnons avaient et ont toujours le goût du secret, comme les francs-maçons.

    Première piste, pour démentir ce qui est dit juste au-dessus, un fond privé a été déposé aux archives départementales de Vendée par une organisation de compagnons de la Roche sur Yon. Il est donc accessible au public et quelques photographies, entre autres, sont visibles sur le site internet du Conseil général de Vendée. Nous vous proposons d’examiner attentivement les trois ci-dessous, prises à une époque où Paul faisait son tour de France. Reconnaîtrez-vous sur ces photos un compagnon ressemblant à Jojo ? Dans ce cas, c’est peut-être son père que vous regardez. Merci de laisser alors un commentaire sur le blog. Ces photos ont été prises en 1910 et 1911. Paul, né en 1889 avait donc, lorsqu’elles ont été prises, une vingtaine d’années.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Jojo, le fils de Paul, a travaillé le métal pendant toute sa vie. Mais c’est sans doute par simple opportunité car, après la guerre, la demande de main d’œuvre était sans doute bien plus forte dans ce domaine que dans celui du bois. Mais c’est bien ce matériau qu’il trouvait, à juste titre, infiniment plus noble qui l’attirait. Il est vraisemblable que, si son père avait vécu, Jojo aurait repris le flambeau, ou plutôt le bâton de compagnon menuisier.

    Ne regrettons cependant rien, si les choses s’étaient passées ainsi, il n’aurait peut-être jamais rencontré Fernande et ces lignes n’auraient par conséquent jamais été écrites.


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