• Mourir à Saragosse

    C'est une lapalissade de dire qu'Internet à révolutionné notre vie quotidienne, mais peu de domaines de la connaissance sont autant impactés par cette révolution que la généalogie. Quantité de documents sont numérisés et aujourd'hui accessibles en quelques clics là ou une vie de recherches n'aurait pas suffi auparavant. On pense bien sûr à l'état civil que la quasi-totalité des départements a mis en ligne. Les archives militaires sont une autre source majeure car les cadres de l'armée ont de tout temps eu une passion pour l'administration des troupes. Nombres de documents a donc été produits au fil du temps par les scribes de l'armée. Ils sortent dorénavant des étagères d'archives pour venir jusqu’à nous.

    Récemment, ce sont les fiches matricules des armées révolutionnaires et napoléoniennes qui ont été numérisées et mises en ligne. La ressource est précieuse car elle donne sur les individus qu'elle décrit des renseignements qu'on n'a aucune chance de trouver ailleurs, comme, par exemple, la taille ou la couleur des yeux. Les circonstances de la mort sont aussi mentionnées, lorsque le fiché ne sortait pas vivant de son service, ce qui était malheureusement plutôt fréquent.

    Bien sûr, le mode classement des fiches matricules ne facilite pas leur utilisation pour la généalogie. Cela vient du fait que, pour l'administration militaire, la notion d'individu n'est pas la plus importante (c'est une litote). Vous devez donc connaitre l'unité à laquelle un soldat est rattaché puis son numéro matricule pour pouvoir accéder à sa fiche. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Heureusement les troupes de généalogistes, aussi nombreuses que celle de Napoléon et pas moins vaillantes, se sont attaquées au problème et une indexation collaborative est en cours. C'est sans doute grâce à ce travail que j'ai pu écrire ce billet.

    J'ai récemment fait une mise à jour de l'arbre généalogique familial sur geneanet, un logiciel de partage très populaire. Parmi les "nouveaux venus" dans l'arbre en question se trouve Louis Jacques Vaude qui est né le 24 mars 1790 à Viarmes. Alain Thirard, un généalogiste que je remercie ici, m'a envoyé un message pour me faire savoir qu'une fiche lui était consacrée dans le fameux registre. Bien sûr le message donnait toutes les informations qui permettent accès à cette fiche.

    Avant de nous intéresser au parcours militaire de Louis Jacques Vaude, voyons ce qui a précédé son incorporation. Commençons par son acte de baptême.

    Mourir à Saragosse

     

     

     Mourir à Saragosse

    L'an mil sept cent quatre vingt dix le vingt

    cinquième jour du mois de mars a été

    baptisé par moi prêtre curé de cette paroisse

    soussigné un garçon nommé Louis

    Jacques né hier du légitime mariage

    de Thomas Vaude manouvrier et de

    Marie Louise Langlois ses père et mère

    de cette paroisse Le parrain Jacques 

    Mabillotte jardinier la marraine Marie

    Dieudonné Waré blanchisseuse tous deux

    de cette paroisse qui ont signé avec nous

    Louis Jacques est donc né neuf mois après le déclenchement de la Révolution Française, si on considère la prise de la Bastille comme le début de l'affaire. De grands bouleversements se produisent. Louis Jacques, nourrisson, ne le sait pas, mais lui aussi va être entraîné dans le tourbillon de l'histoire. C'est toujours le curé du village qui tient le registre d'état civil. Cette tâche sera confiée à un laïc en 1793 seulement.

    Louis Jacques et le quatrième enfant du couple Thomas Vaude et Marie Louise Langlois, les deux premiers sont morts en bas âge. A ce jour je n'ai pas trouvé d'autres traces de lui dans les registres de Viarmes. Mais le décryptage de ces registres est loin d'être achevé. Peut-être en apprendrons nous un peu plus sur lui si son nom est cité dans un acte à venir.

    Louis Jacques est un lointain cousin de l'auteur de ces lignes. Nous avons un couple d'ancêtres commun. Il s'agit de Philippe Toquiny et Marie Bimont. Ils sont mes aïeux de la onzième génération et portent respectivement les numéros Sosa 1350 et 1351. Et ils sont aussi les aïeux de la sixième génération de Louis Jacques Vaude dont ils sont les Sosa 52 et 53. Je vous épargne la description des méandres généalogiques qui nous relient.

    Il est temps à présent de nous intéresser à la fameuse fiche matricule que voici.

    Mourir à Saragosse

     

    Cette fiche nous apprend que louis Jacques mesure un mètre et soixante-treize centimètres, ce qui est plutôt grand pour l'époque. Il a le visage plein, ce qui est le contraire d'osseux. Son front est couvert, pas de calvitie naissante. Il a les yeux bleus et son nez est aquilin, donc, selon Larousse, fin et recourbé en bec d'aigle. Ses cheveux et sourcils sont bruns, on dirait sans doute plutôt châtain aujourd’hui. Sa bouche est moyenne et son menton large.

    La profession mentionnée dans cette fiche est vigneron.

    Louis a été incorporé dans l'armée du nord en 1809, le 31 mai. En 1810, il est en Espagne et il meurt à l’hôpital de Saragosse, par fait de diarrhée selon la mention de la fiche.

    Depuis 1808, l'armée de Napoléon lutte en Espagne. Mais la période pendant laquelle les populations européennes accueillaient favorablement les troupes françaises, porteuses d'idées progressistes, est maintenant révolue et le peuple espagnol, fortement incité par l'église, mène une lutte de guérilla contre les français. Les troupes anglaises sont aussi présentes dans la péninsule et les français subirent de nombreux revers. Je n'ai pas trouvé de traces de combat à Saragosse. Peut-être que Louis Jacques Vaude est tombé malade lors d'un mouvement de troupe. Dans la période du décès de Louis Jacques, on note la bataille de Salamanque le 22 juillet 1812. Ensuite, il y a le siège de Burgos du 18 septembre au 22 octobre. En avril 1813, on combat à Valence. Il est bien difficile d'être plus précis sur le contexte du décès de notre malheureux cousin. On mourait souvent de diarrhée dans les hôpitaux militaires dont l'état sanitaire était épouvantable. Le nombre de morts dans l'armée française pendant la campagne d'Espagne oscille selon les historiens entre trois et quatre cent milles, ce qui fait de cette guerre un des épisodes les plus sombre de cette époque. Louis Jacques Vaude est de ce nombre, il avait vingt-deux ans.


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