• Quand on aime, on ne compte pas les mariages.

    C’est à un étrange mariage que je vous emmène aujourd’hui. Comme les événements décrit dans les billets précédents de ce blog, il est célébré à Viarmes, en 1741.

    Les futurs époux sont Jean Nicolas Leclerc et Marie Anne Chalot. Jean Nicolas est le fils de Claude et Nicole Landry, mariés eux-aussi à Viarmes en 1704. Nous n’avons pas en main l’acte de baptême de Jean Nicolas, vraisemblablement né dans une autre paroisse. Marie Anne est quant à elle est née en 1711, le 10 juillet. Elle est le onzième enfant issu du mariage de Nicolas Chalot avec Marguerite Fournier, mariage célébré le 16 février 1697. Avant son mariage avec Marguerite Fournier, Nicolas Chalot avait eu avec Marie Gille, sa première épouse, huit enfants. Si on ajoute à ces dix-neuf enfants les quatre qui vont naître après Marie Anne, celle qui se marie aujourd’hui, on arrive à vingt-trois enfants, une espèce de record pour l’époque où les familles nombreuses n’étaient pourtant pas rares. Mais, chez les Chalot comme dans toutes les familles en ces temps,  la mortalité infantile faisait rage et, au moment de son mariage avec Jean Nicolas Leclerc, les seuls survivants de cette fratrie étaient ses frères aînés Antoine, François Jean Baptiste et Pierre ainsi qu’une demi sœur et deux demis frères issus du premier mariage de Nicolas Chalot, qui se nommaient respectivement Marie Jeanne, Louis et Jean Nicolas. Comme les quatre enfants nés après Marie Anne vont mourir en bas âge, elle se trouve être la plus jeune de la famille et Louis Chalot, son demi-frère dont il sera question plus loin, est son aîné de près de 23 ans. Le contexte familial dans le cadre duquel se déroule le mariage de Marie Anne ne serait pas complet si nous omettions de préciser qu’elle a perdu ses deux parents quelques mois avant ce mariage.

    Voici donc l’acte dressé par le curé de Viarmes, suivi de sa transcription :

    Quand on aime, on ne compte pas les mariages.

     

    Quand on aime, on ne compte pas les mariages.

     

    Jean Nicolas Leclerc fils majeur de Claude Leclerc marchand

    pépinier et de Nicole Landry ses père et mère d’une part et

    Marie Anne Chalot fille majeure de défunt Nicolas Chalot

    vivant marchand de dentelle et de défunte Marguerite Fournier

    ses père et mère tous de cette paroisse d’autre part, après

    les publications de deux bans faites aux prônes de nos

    messes paroissiales par deux dimanches dont le premier

    a été fait le dimanche huitième jour du mois de

    janvier mil sept cent quarante un et le second le

    dimanche vingt six février en suivant vu la

    dispense du troisième obtenue de Monseigneur l’evêque

    de Beauvais en datte du onze février dudit an mil sept cent

    quarante un signé Juzon vicaire général et plus bas est

    écrit controllé et insinué audit Beauvais ledit jour et an par

    Renard. signé Renard. Vu aussi la permission des mariés ??

    dans le carême en datte dudit jour et an que dessus signés

    les mêmes, vu aussi la sentence obtenue par ledit

    leclerc au chatelet de Paris en datte du dix huit février mil

    sept cent quarante un portant main levée de l’opposition faite

    par le sieur Louis Chalot procureur du roi au grenier à sel

    de Creil audit mariage de laquelle opposition il ne s’en est

    formulée aucune autre ni empêchement les fiançailles célébrées le

    jour précédent ont été mariés le lendemain sixième jour du mois

     mars audit an par moi prêtre vicaire de ce lieu soussigné

    ledit Jean Nicolas Leclerc assisté de Claude Leclerc son père

    de Denis Beaucé son cousin et de Nicolas Meusnier ami

    ladite Marie Anne Chalot assistée de Pierre Gallet chirurgien

    son parrain de François Chalot son frère et autres parents

    et amis qui ont signé

    Voici un mariage dont le moins qu’on puisse dire est qu’il ne s’est pas déroulé sans quelques anicroches. En premier lieu, si on les prend dans l’ordre où elles apparaissent dans l’acte, il a fallu obtenir dispense du troisième ban, ceci n’a rien de très exceptionnel, même si, comme nous l’avons vu dans d’autres cas, on avait tout le temps de suivre la procédure habituelle pour ce troisième ban, entre le 11 février, date de la dispense, et le 6 mars, date du mariage. Sans doute que les futurs époux espéraient convoler plus tôt.

    Le deuxième problème est lié au carême. Selon la liturgie catholique les quarante six  jours (quarante jours ouvrés plus six dimanches, car on ne jeûne pas le dimanche) qui précédent pâques sont voués à la pénitence et au jeûne, peu compatibles avec les libations d’un mariage. En cette année 1741, pâques était célébrée le 2 avril. Aucun mariage n’était donc possible entre 20 février et le 2 avril, d’où la demande de dispense.

    Enfin, last but not least, comme on dit outre-manche, quelqu’un s’est opposé à ce mariage, en la personne de Louis Chalot, le demi-frère de la future épouse. Louis est un personnage important, procureur du roi au grenier à sel de Creil. Nos gouvernants qui, de tout temps, ont fait preuve pour remplir les caisses de l’état d’autant d’imagination que pour les vider au profit de leurs marottes ou de leurs amis, ont fait au XIII eme siècle du commerce du sel un monopole royal. Louis Chalot est en charge de collecter la taxe de 6% sur le sel qui est le seul à pouvoir vendre. On rigolait en ces temps moins qu’aujourd’hui avec les fraudeurs fiscaux et ceux qui faisaient commerce illicite du sel, les faux saulnier, étaient condamnés aux galères et même à mort s’ils étaient armés.

    Quelle raison avait Louis Chalot de s’opposer au mariage de sa demi-sœur ? Plutôt qu’un soupçon de polygamie dont le futur époux n’aurait pas pu obtenir la main levée, il s’agit sans doute d’une histoire familiale, peut-être liée à la succession du père des deux protagonistes. Mais là, c’est vous qui allez devoir faire preuve d’imagination…

    Ce mariage enfin célébré ne marque pour autant pas la fin de cette histoire. En marge de cet acte, les mots mentionnés par le curé de Viarmes ne vous ont sans doute pas échappés :

    le présent

    acte demeurera

    nul attendu

    que le mariage

    est erroné et en fait

    célébré en l'église

    de Saint Martin de

    Seugy, le jour et an

    Seugy est un village tout proche de Viarmes dans les registres duquel on trouve effectivement trace de ce mariage :

    Quand on aime, on ne compte pas les mariages.

    Cet acte reprend les termes de celui dressé à Viarmes avec quelques nuances : ce serait le curé de Viarmes, Jean Douceur, qui aurait accordé la dispense pour le mariage pendant le carême et non l’autorité religieuse de Beauvais comme écrit dans l’acte de Viarmes. Certains témoins sont cités aux deux mariages, d’autres seulement à l’un d’entre eux. Autre mystère, Pierre Gallet, est cité comme parrain de l’épouse dans l’acte rédigé à Viarmes alors que selon l’acte de naissance de la future épouse, le parrain était Antoine Chalot, vraisemblablement un oncle.

    Est-ce à l’insu des deux curés, qui se connaissaient forcément, que ces deux mariages ont été célébrés ?

    Il semble que la famille était divisée, Louis, celui qui s’était opposé au mariage semble bien sûr être absent seul François, son frère, est cité. Alors quel secret familial se cache derrière cet imbroglio ?


  • Commentaires

    1
    Mardi 19 Juillet 2016 à 15:16

    Mariage bien étrange en effet. Et c’est bien triste que des vingt-trois enfants nés, il n’en reste plus que six au jour du mariage.

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