• la confiance ne règne pas (1)

    Les lecteurs de ce blog qui pratiquent la généalogie, que j'imagine assez nombreux, connaissent l'importance des actes de mariage dans leurs recherches. C'est en effet grâce à la filiation des époux, telle qu'elle apparait dans le texte, sauf exception et malheureusement assez souvent pour les actes les plus anciens, qu'on peut remonter d'une génération dans la branche correspondante de l'arbre familial.

    Il arrive aussi qu'un acte de mariage recèle d'autres informations non dénuées d'intérêt. C'est le cas lorsque l'un des deux futurs époux est originaire d'une localité éloignée du lieu où est célébré le mariage. Plus on remonte dans le temps, plus cette situation est rare. Nos ancêtres ne fréquentaient en général que les autres habitants de leur paroisse ou de celles situées à proximité immédiate. Lorsque les mariages n'étaient pas tout simplement arrangés par les familles en vue de préserver les intérêts patrimoniaux, les futurs époux n'avaient que peu de chances de se rencontrer en dehors du cadre social qui leur était familier, soit pour le travail, soit à l'occasion de fêtes.

    Un mariage impliquant une personnes étrangère à ce milieu constitue donc un petit évènement. Et, parfois, surviennent questions et énigmes qui pimentent le quotidien du généalogiste.

    Tout d'abord, l'identification du lieu d'origine du futur conjoint n'est pas toujours simple. Pour la plupart des mariages célébrés sous l'ancien régime, le curé note dans l'acte la paroisse d'origine et, assez souvent, le diocèse auquel elle est rattachée. Mais toutes les paroisses ne sont pas devenues simplement des communes et les départements n'ont bien entendu pas été tracés en tenant compte de la géographie des diocèses.

    Il existe toutefois de nombreux moyens de trouver dans quelle commune actuelle on doit rechercher les registres d'une paroisse. Des listes des anciennes paroisses sont accessibles sur internet. Et si vous interrogez d'autres généalogistes sur un des forums, grâce à bonne connaissance d'une région par ceux qui les fréquentent, il est bien rare que vous n'obteniez pas assez rapidement une réponse.

    Ensuite, comme je le fais moi-même, vous serez peut-être tenté de replacer le nouveau venu dans votre arbre familial dans le contexte de sa propre famille. Il vous faudra trouver son acte de baptême puis l'acte de mariage de ses parents. Sauf exception, j'arrête là l'exploration de cette branche. Il arrive parfois que cette incursion dans un territoire nouveau dévoile des situations assez étonnantes. Pour illustrer cela je vous propose un cas découvert récemment.

    Nous sommes à Asnières sur Oise en 1775. Le vingt-six janvier, Jean Baptiste Ganiat épouse Marie Magdelaine Beaucé. Voici l'acte que le curé Dubourguier rédige dans le registre de la paroisse dont il est le ministre.

    la confiance ne règne pas

      

    la confiance ne règne pas

      

    la confiance ne règne pas

    Le jeudi vingt six janvier mil sept cent soixante quinze ont été

    solennellement mariés en ma présence et des témoins soussignés après

    la publication des bans fait en cette paroisse et en celle de Craponne

    diocèse du Puy, le premier, six et huit de janvier sans qu'il ne

    soit paru aucun empêchement civil ni canonique comme il nous

    a paru par le certificat donné par le sieur privat prieur et curé dudit Craponne,

    le six du mois et an, signé privat, et égalisé par monsieur

    de la Brosse, vicaire général le onze dudit mois et an et par monsieur

    Raynauld secrétaire de monsigneur dupuy en vellay en outre les

    bans dudit jean baptiste ganniat de fait de la paroisse d'issy furent

    publiés le vingt cinq, vingt sept et vingt huit du mois de 

    décembre en la messe paroissiale dudit issy en l'année mil sept

    cent quatre vingt quatorze auquel publication ne s'est trouvé aucun

    empêchement ni civil ni canonique comme il nous est apparu  par le

    certificat du sieur soisil vicaire dudit issy en date du six janvier

    mil sept cent quatre vingt quinze et suivant le consentement dudit sieur mathieu

    ganiat nous a donné maitre Boulangé et autres habitants du faubourg

    du marché dial de cette ville de Craponne ayant donné libre et pleine

    volonté à son fils jean baptiste ganiat de recevoir la célébration du

    mariage sous condition que pierre bachelard son beau frère assistera

    ou donnera son consentement à la célébration dudit mariage  comme

    il nous est apparu par le consentement de mathieu ganiat père, passé en l'étude

    du notaire du sieur pastel et essartin tous deux notaires audit craponne

    avec les témoins soussignés ganiat et calmard en date du quinze

    novembre mil sept cent soixante quatorze et comme le consentement

    dudit mathieu ganiat père n'était que conditionnel nous avons voulu

    que pierre bachelard tailleur d'habits des menus plaisirs du roi à

    Paris rue du faubourg montmartre paroisse saint eustache ne

    ne pouvant point assister à la célébration du mariage dudit jean baptiste

    ganiat , nous avons exigé son consentement  passé par devant main de notaire

    qui fut maitre d'Osne, notaire à Paris et à son confrère le quinze dudit

    mois de janvier mil sept cent soixante quinze devant lequel ledit pierre

    bachelard a consenti que ledit jean baptiste ganiat, son neveu, pouvait contracter

    mariage avec la personne que bon lui semblerait, pourvu qu'elle soit 

    de la religion apostolique et romaine et en conséquence a constitué

    pour procureur dudit ganiat père le porteur de la présente jean brador vigneron

    auquel il donne pouvoir à la célébration dudit mariage et donc signer

    l'acte comme il nous a paru par ledit consentement qui nous a été 

    délivré par monsieur dosne notaire à Paris et son confrère qui ont

    signé tous deux avec pierre bachelard le vingt cinq janvier mil sept

    cent soixante quinze et ?? ledit jour et an que dessus  ?? jean

    baptiste ganiat âgé de vingt quatre ans ou environ fils de mathieu

    ganiat maitre boulanger audit craponne et de marguerite bachelard

    ses père et mère , lequel assisté de jean bardor son procureur et

    son ami et de noel jean brador aussi son ami d'une part et entre 

    marie magdelaine beaucé âgée de vingt neuf ans fille de défunt 

    denis beaucé en son vivant rubanier et de défunte marie catherine

    got ses père et mère et les bans de ladite marie magdelaine beaucé

    fait en la messe paroissiale dudit lieu sans qu'il se soit trouvé aucune

    opposition ni civile ni canonique, laquelle a été assistée par jean beaucé

    son oncle et son curateur, de jean pierre beaucé, jacques philippe hervin

    ses cousins d'autre part, témoins qui ont signé avec nous suivant

    l'ordonnance.

    Du fait de la  complexité de la situation, aggravée par l'absence de ponctuation et la syntaxe quelque peu chaotique de ce texte, il n'est peut-être pas inutile d'exposer l'intrigue de cette histoire en quelques mots.

    Il s'agit donc d'un mariage, célébré à Asnières sur Oise, paroisse de l'actuel Val d'Oise. Les futurs époux sont Jean Baptiste Ganiat et Marie Magdelaine Beaucé. Nous reviendrons plus tard sur les différents  lieux mentionnés dans l'acte de mariage.

    Le futur époux a obtenu le consentement de son père, Mathieu Ganiat, à son union avec Marie Magdelaine Beaucé. Ce consentement était nécessaire car Jean Baptiste Ganiat, qui à vingt quatre ans n'avait pas atteint le majorité, fixée à vingt cinq ans sous l'ancien régime.

    Cependant, le père qui, comme nous le verrons plus tard, ne connait vraisemblablement pas l'épouse choisie par son fils a conditionné ce consentement à l'approbation de Pierre Bachelard, son beau frère (frère de Marguerite Bachelard, sa propre épouse). Mais Pierre Bachelard, qui n'a visiblement pas reçu d'instructions claires du père méfiant, à moins qu'il soit réticent à les appliquer, se contente de déclarer, devant notaire, qu'il a mieux à faire que d'assister au mariage de son neveu et que celui peut bien, de toute façon, épouser qui bon lui semble à la seule condition que l'élue soit une catholique dans la ligne de Rome. Dans une région ou la quasi totalité de la population na guère le choix d'être autre chose que catholique bon teint, la condition en question ne devrait pas poser de problème.

    Ce fut d'ailleurs apparemment le cas puisque le mariage à bel et bien été célébré.

    Le coté anecdotique de cette histoire ayant été traité, je vous propose d'examiner, du  point de vue de la démarche de généalogiste, la restitution du contexte tant familial que géographique dans lequel vivaient ses protagonistes.

    Nous commencerons par Marie Magdelaine Beaucé, la future épouse, dont le cas est le plus simple.

    L'acte de son mariage avec Jean Baptiste Ganiat nous apprend qu'elle est la fille de  Denis Beaucé et Marie Catherine Got. Beaucé est un nom de famille répandu en particulier à Viarmes et dans ses environs. Au moment où nous commençons l'étude ce cas nous avons plusieurs Denis Beaucé dans l'arbre familial, mais aucun n'est marié à une Marie Catherine Got. Par bonheur, une recherche dans la base geneanet donne le mariage que nous recherchons. Trois personnes(1) ont ont posté un arbre avec ce couple qu'elles soient ici remerciées, en particulier celle qui a été la première à mettre cette information à la disposition de la communauté. Aucune des trois généalogistes ne mentionnent toutefois Marie Magdelaine Beaucé comme fille du couple. Elle pourront, si elles le souhaitent, compléter leur arbre lorsque j'aurais mis à jour le mien. C'est un bon exemple de l'intérêt du partage sur internet. Mais ces trois sources donnent des informations différentes sur le lieu mariage des parents de Marie Magdelaine Beaucé. C'est la dernière citée qui donne les informations les plus complètes et pertinentes.

    Le mariage entre Denis Beaucé et Marie Catherine Got, les parents de Marie Magdelaine a été célébré à Paris, paroisse Saint Eustache, le sept février mil sept cent quarante six. L'acte de mariage original est partie en fumée avec, entre autres, la quasi totalité des registres d'état civil parisien lors de l'incendie de l'hôtel de ville pendant la semaine sanglante de la commune de Paris en mil huit cent soixante et onze.

    Par bonheur, le curé d'Herblay, la paroisse d'origine de la mariée a inclus dans le registre qu'il tient le texte par lequel il autorise le mariage de sa paroissienne. Il est mentionné en marge de ce texte que le mariage a été le sept février. Voici cet texte :

    la confiance ne règne pas

      

    la confiance ne règne pas

     

    L'an mil sept cent quarante six le troisième jour

    du mois de février j'ai permis à monsieur le

    curé de St eustache à Paris de fiancer et

    marier Marie Catherine Got, ma paroissienne

    de droit, et la sienne de fait, fille mineure

    de nicolas got le jeune 

    et françoise paulmier demeurant en notre

    paroisse, avec denis beaucé de la paroisse

    de viarmes diocèse de beauvais, et demeurant

    à Paris paroisse St Eustache, fils de denis

    beaucé, marchand, et de françoise morier

    après que nous avons publié par trois

    dimanches ou fêtes, savoir le dimanche

    vingt trois, le dimanche trente janvier

    et le jour de la purification de la Ste vierge

    deux du présent mois, auxquelles publication

    il ne s'est trouvé aucun empêchement

    Cet acte confirme que le Denis Beaucé présent dans notre arbre familial, fils de Denis et de Françoise Morier et le Denis Beaucé, père de Marie Magdelaine qui épouse Jean Baptiste Ganiat sont bien une seule et même personne. Le couple vivait à Paris où son mariage a été célébré en mil sept cent quarante six.

    Selon l'acte de mariage de leur fille Marie Magdelaine, celle-ci est âgée de vingt neuf ans en mil sept cent soixante quinze, ce qui situe sa naissance vers mil sept cent quarante six, peu de temps après le mariage de ses parents. Ses deux parents sont décédés lorsqu'elle se marie. Nous n'avons pas pu consulter les actes de décès des parents de Marie Magdelaine, ni son propre acte de baptême. Comme la famille vivait à Paris, ces actes ont vraisemblablement disparus dans l'incendie évoqué plus haut. L'hypothèse la plus vraisemblable est que les parents de Marie Magdelaine sont décédés alors qu'elle était encore très jeune et qu'elle a été recueillie par sa famille paternelle, dans le Val d'Oise, à Asnières sur Oise où les bans on été publiés et le mariage célébré. Son Curateur est vraisemblablement Jean Beaucé, mon Sosa 340, frère de son grand père, donc un grand oncle et non un oncle comme mentionné dans l'acte.

    Une autre information "cachée" dans l'acte de mariage de marie Magdelaine va nous permettre de retracer sa vie, ou plutôt sa mort. Plusieurs noms de lieu sont mentionnés dans cet acte. Craponne où résidait le père du futur marié, Asnières sur Oise où les bans ont été publiés et le mariage célébré et, enfin, Issy, autre ville où les bans ont été publié, lieu de résidence de Jean Baptiste Ganiat, le futur époux. Plusieurs localités porte ce nom en France : Issy l'évêque en Saône et Loire et Issy les Moulineaux dans les actuels Hauts de Seine. C'est dans cette dernière que nous allons retrouver la trace du couple récemment uni.

    Lorsqu'on examine les actes du registre paroissial d'Issy les Moulineaux pour l'année mil sept cent soixante quinze, on trouve au bas de certains d'entre eux la signature du vicaire Soisil, celui là même qui a envoyé au curé d'Asnières sur Oise le certificat autorisant le mariage de Jean Baptiste Ganiat, son paroissien.

    la confiance ne règne pas

     

    Issy les Moulineaux est donc bien le lieu où vivait Jean Baptiste Ganiat. Cette ville se trouve à une quarantaine de kilomètres d'Asnières sur Oise, ce qui n'était pas rien au XVIIIème siècle. Nous ignorons bien sûr comment les deux futurs époux se sont rencontrés, la profession de Jean Baptiste Ganiat, qui n'est mentionné dans aucun des actes où son nom apparait, l'a peut-être amené à croiser la route de sa future épouse.

    C'est dans le registre paroissial d'Issy les Moulineaux qu'on trouve un acte où apparaissent les noms des époux.

    la confiance ne règne pas (1)

     

    L'an mil sept cent soixante quinze, le deux décembre a été

    inhumée par nous prêtre du consentement de m le curé de cette paroisse le

    corps de marie magdelaine beaucé décédée d'hier âgée d'environ vingt neuf ans

    femme de jean baptiste gagnard après avoir reçu les sacrements des malades

    et ce en présence de son marie de jean baptiste beaucé de benoit 

    alard lesquels ont signé avec nous

    C'est ainsi que ce termine la courte vie de Marie Magdelaine Beaucé, moins d'un an après son mariage.

    Ce sera aussi la fin de nos recherches sur la malheureuse. Il nous reste à tenter de reconstituer l'histoire de son époux, Jean Baptiste Gagniat. Ce sera l'objet d'un second billet. 

    notes :

    1 Agnès GAULTIER de la FERRIERE, Floriane BARTHE et Elisabeth MALLÈVRE LAGRANGE

     


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