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Opéra breton
Le billet que je vous propose aujourd'hui est une variante bretonne et approximative du célèbre opéra de Giacomo Puccini, Madame Butterfly.
Au cas improbable ou certains lecteurs de ces lignes ignoreraient de quoi parle cet opéra, voici, en quelques mots, de quoi combler cette lacune.
Au Japon, sous l'ère Meiji (1868-1912), un officier américain, Benjamin Franklin Pinkerton, séduit une jeune japonaise, Cio Cio San qu'il épouse. Mais pour Pinkerton, ce mariage n'est qu'un divertissement et il ne tarde pas à disparaitre, abandonnant sa jeune épouse. Envers et contre tous, elle lui restera fidèle, attendant son retour avec l'enfant qu'il lui a fait. Pinkerton reviendra bien au Japon, mais accompagné de son épouse, la vraie selon lui, une américaine. Comprenant comment elle a été trompée, Cio Cio San abandonnera son enfant et se donnera la mort.
Le Pinkerton de mon histoire se nomme Hyacinthe Ebroussard. Il est né à Maffliers, dans le Val d'Oise, le treize mai mil sept cent soixante et onze. Il n'est certes pas allé au Japon, mais en mil sept cent quatre vingt seize, un peu plus de cent ans avant la première de l'opéra de Puccini, le voyage qu'il a fait n'avait rien d'ordinaire. Vous connaitrez sa destination en lisant l'acte qui suit.
Le trois Messidor l'an quatrième de la République française aux six
heures du soir devant nous Mathurin Hardy officier municipal faisant
fonction d'officier public de la commune de Vitré ont comparu à la
maison communale le citoyen Hyacinthe Ebroussard, cordonnier au
neuvième bataillon de la dix neuvième demi brigade d'infanterie
légère âgé d'environ vingt cinq ans originaire de la commune de
Maffliers et domicilié de celle de Montsoult , fils légitime de Jean
François Ebroussard manouvrier originaire de la même commune et de
Marguerite Carette originaire de celle de Fresnoy en Picardie, canton
d'Ecouen département de Seine et Oise et la citoyenne Louise
Jacquine Jourdan lingère, âgée de vingt quatre ans fille légitime
du citoyen Henry Jourdan couvreur et de Jeanne Moran tricoteuse
ci présent les trois originaires de la commune de Vitré y demeurant
rue de Paris vu aussi le consentement audit mariage desdits
Jean François Ebroussard et Marguerite Carette, rapporté par le citoyen
Antheaume notaire dont la signature est certifiée véritable par la
municipalité dudit Montsoult; lesquels futurs conjoints étaient
accompagnés des citoyens Jean Guyomar, cloutier âgé de quarante
six ans, François Moulin cordonnier âgé de cinquante deux ans
Juline Baulin marchand, âgé de vingt huit ans demeurants ditte
rue de Paris et Jean Marie Colinet sous lieutenant des canonniers
de la garde nationale de Vitré âgé d'environ vingt neuf ans demeurant
rue Potterie, voisin et amis des futurs conjoints et tous du département
d'Ille et Vilaine nous dit Hardy après avoir fait lecture en présence
des parties et desdits témoins 1° de l'acte de naissance du citoyen
Hyacinthe Ebroussard qui constate qu'il est né le treize mai
mil sept cent soixante et onze (vieux style) en ladite commune de
Maffliers 2° de l'acte de naissance de la citoyenne Louise Jacquine
Jourdan qui constate qu'elle est née le vingt sept mars mil sept
cent soixante douze en ladite commune de Vitré 3° de l'acte de
publication des promesses de mariage entre les futurs conjoints d'après
par nous dit Chardy le quatorze Floréal dernier publiées et affichées
le lendemain à l'heure de midi à la porte principale de notre maison
commune et à celle de Montsoult le neuf Prairial dernier suivant
le certificat de l'officier de ladite commune attesté véritable par
la municipalité du canton d'Ecouen sans opposition parvenue à
notre connaissance ; d'après aussi que les citoyens Hyacinthe Ebroussard
et Louise Jacquine Jourdan nous ont déclarés à haute voix se
prendre mutuellement pour époux nous avons prononcé au nom
de la loi qu'ils sont unis en mariage et avons rédigé
le présent acte sur notre seing et ceux desdits témoins les contractants
ayant déclaré ne le savoir faire. fait à la maison commune lesdits
jour, mois et an ci-dessus.
C'est donc en Bretagne intérieure, dans la ville de Vitré, que notre cordonnier militaire, enrôlé dans l'armée de la République, a trouvé son épouse. La vie de ce couple continue de façon apparemment banale puisque, onze mois après le mariage, le trente mai mil sept cent quatre vingt dix sept, un enfant male nait dans le couple auquel on donne le nom de Hyacinthe Henry manifestement en hommage à son grand-père Henry Jourdan.
La lecture de l'acte de naissance du nouveau né ne présente pas d'intérêt particulier. Notons toutefois que la profession de Hyacinthe Ebroussard, le père de l'enfant, notée dans cet acte est chasseur et non cordonnier comme lors de son mariage. Il appartient toujours à la même unité et est absent. Louise Jacquine Jourdan accouche dans la maison de son père, Henry Jourdan.
Le registre contenant l'acte est accessible sur le site des archives départementales de l'Ille et Vilaine sous la cote "Vitré 1796-1797 cote 10NUM35360 371". L'acte lui même se trouve sur la vue n°81.
En mil huit cent quatre, le quatre avril, c'est Jean Baptiste Pierre qui apparait dans le foyer. C'est bien Hyacinthe Ebroussard qui déclare l'enfant à l'administration. Il se dit cordonnier et donne une adresse à Vitré. les deux témoins exercent aussi la profession de cordonnier. Tout semble indiquer que Hyacinthe a quitté sa position militaire et qu'il exerce son métier dans la ville où il s'est marié, Vitré. L'acte se trouve dans le registre "Vitré 1804-1805 vue 33/68 cote 10NUM35360 379".
Enfin, deux ans plus tard, le vingt deux avril mil huit cent sept, Marie Françoise rejoint la famille. Voici l'acte dressé à cette occasion :
L'an mil huit cent sept le vingt deux avril à dix heures du soir
par devant nous Mathurin Renè le Moygne de la Borderie maire et officier
public de la commune de Vitré canton du même nom département d'Ille
et Vilaine est comparue Renée Lenoir veuve Lelay sage femme
jurée de cette ville y demeurant grande rue notre dame laquelle
nous a déclaré que ce jour à neuf heures du matin est né un enfant
du sexe féminin qu'elle nous a présenté et auquel elle a déclaré
donner les prénoms de Marie Françoise lequel enfant est né
de Louise Jourdan, tricoteuse native de Vitré y demeurant rue
hellerie épouse de Hyacinthe Ebroussard, cordonnier, natif de
Maffliers département de Seine et Oise, absent. Ladite déclaration
faite en présence de François Marie Gautier, tisserand âgé de trente
huit ans demeurant rue pellerie et de Jean Baptiste Guerlé
cordonnier âgé de trente neuf ans demeurant place impériale
amis et ont ladite témoin Gautier signé avec nous
le présent acte de naissance ledit Gerlé ayant
déclaré ne le savoir faire après qu'il lui a été fait lecture
La malheureuse Marie Françoise ne vivra qu'à peine plus d'un an. Voici son acte de décès, toujours extrait des registres de Vitré.
L'an mil huit cent huit le vingt cinq mai à dix heures du matin par devant
nous Mathurin René Le Moygne de la Borderie maire et officier public de la
commune de Vitré canton du même nom département d'Ille et Vilaine sont
comparus Henry Jourdan couvreur âgé de trente deux ans demeurant en cette ville
rue neuve et Pierre Leroy couvreur âgé de cinquante un ans demeurant rue hellerie
de cette ville voisin de la défunte ci-après dénommée lesquels nous ont déclaré
que Marie Françoise Ebroussard âgée de teize mois fille de Hyacinthe Ebroussard et de
Louise Jourdan est décédée le jour d'hier à cinq heures du soir en la maison paternelle
rue hellerie et a ledit Henry Jourdan signé avec nous ledit Pierre leroy ayant
déclaré ne le savoir faire après qu'il leur a été fait lecture du présent acte.
Il est clair à la lecture de cet acte que Hyacinthe Ebroussard, le père de Marie Françoise est absent, même si ce n'est pas explicitement précisé comme cela l'avait été dans l'acte de naissance de l'enfant. Or c'est presque toujours le père qui vient déclarer le décès d'un enfant en bas âge. Dans le cas présent c'est Henry Jourdan , qui est vraisemblablement le frère de Louise Jacquine, la mère de l'enfant et donc oncle de la malheureuse Marie Françoise
Le sort s'acharne sur la malheureuse famille Ebroussard de Vitré. Trois semaine après la jeune Marie Françoise, c'est sa mère, Louise Jacquine Jourdan, qui décède.
L'an mil huit cent huit le treize juin à trois heures du soir par devant
nous mathurin René le Moygne de la Borderie maire et officier public de la
commune de Vitré canton du même nom département d'Ille et Vilaine sont
comparus Jean Tribordeau, sergent, âgé de quarante neuf ans et Renè
Marie Coiffé, tisserand, âgé de quarante cinq ans demeurants rue hellerie
de cette ville, voisins de la défunte ci-après nommée, nous ont
déclaré que Louise Jaquine Jourdan âgée de trente six ans native de Vitré
épouse de Hyacinthe Ebroussard cordonnier, fille de Henry Jourdan et
Jeanne Moran et décédée ce jour à six heures du matin dans sa maison
située ?? rue hellerie et a ledit Tribordeau signé avec nous le
présent acte ledit Coiffé ayant déclaré ne le savoir faire après qu'ils
leur a été fait lecture.
Une nouvelle fois, Hyacinthe Ebroussard est absent alors qu'on inhume son épouse.
Nous ne trouverons à Vitré pas la raison de l'absence de Hyacinthe Ebroussard près de sa famille lors de ces évènements pourtant importants. C'est dans sa région d'origine, le Val d'Oise, que se trouve l'explication, dans l'acte dressé à Saint Martin du Tertre, tout près de Maffliers où Hyacinthe est né et de Monsoult où se trouvait le dernier domicile dans la région que nous lui connaissons.
n°51 du deuxième jour du mois d'août de
l'année mil huit cent huit;
Acte de naissance de Marie Ismérie;
née le premier août à trois heures de l'après midi, fille
naturelle d'Hyacinthe Ebroussard profession de cordonnier demeurant
en cette commune se St Martin du Tertre veuf de Louis Jacquine Jourdan
décédée le treize du mois de juin dernier en la commune de
Vitré département d'Ille et Vilaine suivant la déclaration que nous à fait
ledit Hyacinthe Ebroussard lequel s'est engagé de nous justifier
de l'acte de décès de sa femme en bonne forme sous le plus bref
délai; et de Geneviève Elisabeth Rousselle demeurant en cette
commune de St Martin du Tertre veuve de Amant Gaillard son
époux décédé le onze Brumaire de l'an onze en cette commune
le sexe de l'enfant a été reconnu être féminin
Premier témoin Jean Baptiste Robert Prunier âgé de cinquante
neuf ans, instituteur domicilié en cette commune
Secod témoin Jean Baptsite Louis Ancelot âgé de
quarante un ans marchand épicier domicilié en cette commune
Sur la déclaration à nous faite par ledit Hyacinthe Ebroussard qui
nous a déclaré être le père dudit enfant et vu ladite déclaration nous
adjoint soussigné nous nous sommes transporté accompagnés des
témoins ci-dessus nommés décoré du costume voulu par la loi chez
ladite Geneviève Elisabeth Rousselle, mère de l'enfant à l'effet de
recevoir la déclaration, d'après lecture à elle faite du contenu
de l'acte ci-dessus, ladite Geneviève Elisabeth Rousselle à reconnu
être le contenu d'icelui sincère et véritable a déclaré ne savoir
signer de tout quoi nous lui donnons acte et nous nous sommes
retiré au lieu ordinaire de la mairie et d'après lecture
faite à nos dits témoins et au dit Ebroussard , ont signé à l'exception
dudit Hyacinthe Ebroussard qui a déclaré ne savoir ni pouvoir signer
Constaté suivant la loi par moi adjoint par délégation
spéciale du maire de la commune de St martin du Tertre faisant les fonctions
d'officier public de l'état civil.
Donc, pendant que son épouse et ses enfants soufrent en Bretagne, Hyacinthe Ebroussard, qui les a abandonnés, commence une nouvelle vie dans sa région natale.
On sent bien à la lecture de l'acte de naissance de Marie Ismérie, la fille qu'il a eu avec la veuve Lalay que l'officier public qui écoute les déclarations de Hyacinthe Ebroussard ne trouve pas ça très clair ni très moral. Et encore, sans doute que l'intéressé à passé sous silence l'existence de trois enfants en Bretagne qui avaient respectivement environ dix ans, deux ans et six mois lorsque la petite Marie Ismérie était conçue dans son "nouveau" foyer Val d'oisien. Un peu moins de deux mois après la naissance de Marie Ismérie, le mariage entre Hyacinthe Ebroussard et Geneviève Elisabeth Rousselle sera célébré à Saint Martin du Tertre.
Ce qu'on peut tirer des différents actes qui jalonnent ce drame laisse de nombreuses questions sans réponse. Que sont devenus les deux garçons nés du mariage breton de Hyacinthe Ebroussard ? Ont-ils rejoint leur père dans le Val d'Oise pour vivre avec le ou les enfants du couple formé par leur père avec sa nouvelle épouse ? Ont ils été pris en charge par la famille Jourdan ? Quelles raisons ont poussé Hyacinthe Ebroussard à fuir la Bretagne ou il semblait vouloir passer sa vie ? Qu'est ce qui à provoqué la mort de Louise Jacquine Jourdan ?
Sans répondre à cette dernière question, pour ne pas ajouter à la tristesse de cette histoire lamentable, j'espère tout de même que Louise Jacquine Jourdan n'a pas terminé sa vie comme l'héroïne de Puccini.
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